Le réel du virtuel n’est-il qu’addiction et perversion ?

Le Festival NewImages s’est tenu au Forum des Images à Paris du 4 au 8 avril. Il s’agit du premier festival international dédié à la création numérique et aux mondes virtuels. Il rassemble plusieurs rendez-vous parisiens comme le Paris Virtual Film Festival et I Love Transmedia. On y trouve donc des films en VR, des jeux vidéos, des narrations interactives, des installations immersives et des web séries.

Dans ce cadre fut programmée une rencontre autour de la série Black Mirror, samedi après-midi, « Et si c’était vrai ? ».

Black Mirror est diffusé sur Netflix depuis 2011, série de science-fiction de Charlie Brooker. Chaque épisode montre la dépendance des humains vis-à-vis des écrans et des usages numériques et les conséquences de cette dépendance.

Il est clair qu’en programmant cette conférence, NewImages ne prétend pas faire une critique, esthétique/ cinématographique/scénaristique de Black Mirror. Elle s’en tient au message véhiculé par cette série d’anticipation. Le message véhiculé pourrait tenir en une phrase, par exemple : « Les écrans, ce n’est pas bien. Wooo… ça fait peur (surtout aux mères de famille) ! ». Angoissante et addictive à souhait, elle a intéressé des scientifiques (de sciences très humaines) comme la psychologue Lise Haddouk, qui est intervenue lors du débat au Forum des Images.

Lise Haddouk est docteur en psychologie, maître de conférences en psychopathologie à l’université de Rouen. Elle souligne que le phénomène qui se développe dans nos vies numériques est un glissement du rapport à l’autre vers le rapport à l’image de l’autre. C’est particulièrement marquant chez les adolescents.

Quelle vie au-delà du like ?

 

« Black Mirror est une série un peu prophétique dans l’univers des séries du moment ; il y a une vraie originalité à travers les situations qu’elle évoque. Son futurisme est déjà actuel. Elle met en image des inquiétudes fondées », explique Lise Haddouk, avant de poursuivre :

« BM avait, par exemple, mis en image cette situation de notation permanent des individus, pour voir comment ça influait sur leur accès à l’emploi ou au logement. En Chine, c’est entré en vigueur récemment. Cela ne passe pas que par les notations en ligne, puisqu’il est tenu compte aussi du casier judiciaire, par exemple. Mais il s’agit désormais de catégoriser la population en fonction de son comportement ou de sa popularité. Aujourd’hui, nous sommes sous le joug de l’image qu’on trouve sur les réseaux sociaux, notamment les plus jeunes, mais pas seulement. La question, c’est de prévenir les risques liés à ce type d’évaluation basée uniquement sur l’image, et qui fait l’impasse sur la rencontre avec le sujet. L’image remplace le sujet. Elle bloque un processus d’élaboration qui se produit dans le cadre d’un échange intersubjectif entre deux humains. »

Que peut-on faire sur l’évaluation permanente à laquelle nous nous soumettons, malgré nous ou pas ?

 

Lise Haddouk : « Je défends l’inter subjectivité, c’est mon argument qu’on utilise aussi pour les outils numériques utilisés en psychothérapie. ON aime beaucoup les gadgets numériques, mais l’objet ne fait pas le sujet. La parade, c’est d’établir le contact, au-delà du like. La technologie avance vite, et les consommateurs réclament toujours quelque chose de nouveau. Les ados doivent être équipés pour être reconnus par les autres, intégrés au groupe ; l’idée n’est pas de vivre en ermite, mais de savoir les utiliser au niveau moral et éthique.

Les adultes se sont sentis mis sur la touche mais la question n’est pas là. Il faut garder du bon sens.

On a des principes fondamentaux en psychologie, qui sont

– la différence générationnelle.  On reste en position d’autorité vis-à-vis des enfants, et donc de protection.

– l’accompagnement du téléphone et de l’interne. Ça fut loupé pour les premières générations. La transmission peut passer par ces vecteurs-là : ne pas les laisser seuls face à leurs écrans.

La rencontre, sera-t-elle ce dernier luxe pour l’humanité ?

 

Lise Haddouk : « Oui, aujourd’hui les magnats de la Silicon Valley payent très cher pour que leurs enfants fréquentent des écoles sans technologie. La question, c’est la régulation des usages, et l’importance accordée à toutes ces images. »

Black Mirror met en lumière les dérapages des angoisses parentales, lorsqu’elles sont assistées des nouveaux outils, comme la puce implantée dans le cerveau d’une fillette et qui permet à sa mère de prendre le contrôle sur sa vie. Or on peut déjà géolocaliser nos enfants ; le processus adolescent implique qu’il a besoin de se séparer et vivre un pan de sa vie tout seul. Les technologies ne vont pas dans le sens de l’autonomisation. Dans l’épisode imaginé dans Black Mirror, la puce a flouté les images angoissantes pendant toute l’enfance de la fillette, elle n’a donc pas appris à gérer la vision de la violence, et donc elle n’est pas préparée au réel.

La série Black Mirror met le doigt sur le développement du voyeurisme et de l’exhibitionnisme qui en découlent, qui sont répertoriées au catalogue des perversions en psychologie.

Les usages qui sont faits de Facebook affichent déjà de manière insistante l’immaturité des adultes. L’avenir révélera t-il à eux-mêmes une majorité de pervers ? Simple question.