Disparition de Tonie Marshall.

La femme aux portraits

Elle voulait faire du cinéma. La fille de Micheline Presle et de William Marshall avait, la vingtaine à peine à la fin des années 1960, commencé par être actrice sur les traces de sa prestigieuse parentèle. Elle pétillait, joyeuse et désinvolte, maniait l’absurde et faisait l’andouille avec panache chez Jean-Michel Ribes dans les émissions Merci Bernard! et Palace ou sur grand écran chez Jacques Demy, Claude Zidi, Gérard Frot-Coutaz ou Jean-Claude Biette… Des seconds rôles souvent, mais qu’elle habitait de sa drôle de présence. Et puis, à l’approche de la quarantaine, elle était passée derrière la caméra avec Pentimento, polar déglingué qui fouillait déjà les liens de sang, les pères absents. Avec Pas très catholique, en 1993, elle met en scène pour la première fois son amie d’adolescence, Anémone, en détective privée libre comme l’air, et signe le portrait magnifique d’une franc-tireuse. 

Elle écrit et réalise des films où les femmes mènent la danse, où la question de la filiation, la soif d’amour et le besoin de trouver sa place en ce monde se mélangent dans une sarabande à la fois mélancolique et joyeuse. Vénus Beauté (Institut), en 1999, fait d’elle la première femme (et la dernière à ce jour) à rafler un César de la meilleure réalisation, du meilleur film et aussi du scénario. Ce jour-là, dans sa robe de princesse, elle était la reine du bal et se demandait si ce n’était pas un peu beaucoup…  

En 2001, Au plus près du paradis avec Catherine Deneuve et William Hurt lorgne vers la comédie romantique américaine en une référence assumée à Elle et lui de Leo McCarey ; France Boutique (2002) avec Karin Viard et François Cluzet s’interroge sur le consumérisme à travers une « comédie conjugale », tandis que Nathalie Baye joue les escrocs dans Passe-passe (2007) et que l’addiction sexuelle est au centre de Tu veux ou tu veux pas (2014), où Patrick Bruel tente de résister aux assauts de Sophie Marceau. On voit par là que Tonie Marshall a brassé des sujets singuliers pas si fréquents sur nos écrans hexagonaux. Engagée sur tous les fronts, à la SRF et dans le collectif 50/50, elle avait, en 2018, lancé l’appel contre les violences faites aux femmes, aux côtés d’Emmanuelle Devos, qu’elle avait dirigée dans le délicieux Tontaine et Tonton pour la télévision, et aussi dans le magnifique et brillantissime Numéro une (2017) sur le parcours d’une femme dans le milieu très costard-cravate du CAC 40. Dans son troisième long-métrage, très réussi, Enfants de salaud (1996), elle faisait dire à sa mère Micheline Presle cette phrase en forme de mantra  : « La légèreté, ça ne veut pas dire qu’on l’est tout le temps, ça veut juste dire qu’on peut l’être. Et c’est tout un art… ». L’art de Tonie Marshall était grand, comme sa fidélité (à ses actrices Anémone, Nathalie Baye, Emmanuelle Devos et bien sûr Micheline Presle), sa générosité et son intelligence.