Cannes 2019 – Le palmarès des courts-métrages

Les films primés et les oubliés du palmarès

Parmi les 4240 courts-métrages à s’être disputé une sélection en compétition officielle, seulement onze d’entre eux se sont retrouvés en lice pour recevoir la Palme d’or. Analyse critique du palmarès et des films vainqueurs.

 

Cette année, ils étaient onze à se succéder sur les écrans cannois. Onze sujets, onze regards sur le monde, onze mises en scène. Onze films totalisant une durée de deux heures et vingt-sept minutes.

The Distance Between Us and the Sky était l’un des plus courts. À la neuvième minute, son générique de fin s’achève. Mais une telle brièveté sert l’ambition de son réalisateur Vasilis Kekatos : montrer la naissance du désir amoureux, dans sa fugacité comme dans son incertitude.

Le pitch ? Un homme veut rejoindre à Athènes un amant potentiel. Mais il lui manque quelques euros pour le transport. Dans une station-service, il cherche donc à convaincre un passant qu’il croise de lui donner un peu de monnaie.

Sur le papier, peu d’originalité. Une simple scène de rencontre qui se transforme en une adroite séduction. Mais le contexte dépeint se prête volontiers à nous charmer : la nuit est tombée, deux hommes se font face, seuls, jeunes et particulièrement beaux. Sans aucun doute, l’un est homosexuel. La question qui maintient notre souffle est donc de découvrir si l’autre se laissera tenter… Tous les moyens sont bons pour plaire, alors ils brouillent les cartes, jouent, se surprennent et se mettent en danger.

À bien y regarder, The Distance Between Us and the Sky prime par sa simplicité. C’est très certainement pour cela qu’il a su tirer son épingle du jeu auprès du jury présidé par Claire Denis. Aucun autre court-métrage de la compétition n’a fait appel à aussi peu de séquences. Aucun autre film n’a autant cru au pouvoir du champ/contrechamp, à la possibilité d’un échange aussi intellectuel que physique entre deux personnages, à des yeux qui s’examinent puis se sourient, à des bouches qui s’effleurent et se ravisent.

Tenu d’un bout à l’autre comme un fil suspendu dans les airs, The Distance Between Us and the Sky est un film prometteur.

Cependant, au regard de la variété de la programmation des courts-métrages en compétition, nous regrettons que la Palme d’or n’ait été décernée à un film au propos plus ample. Par exemple, Anna, de Dekel Berenson, propose une réflexion touchante sur l’absurdité des rencontres en agence matrimoniale entre individus si différents qu’ils n’ont rien à se dire. La réalisatrice Elin Övergaard, avec Ingen Lyssnar (Who Talks), s’ancre quant à elle dans une réalité sociétale aujourd’hui prégnante : la peur d’accueillir comme voisins des migrants.

Parmi les grands absents du palmarès, il y a aussi les courts-métrages les plus intenses et porteurs d’émotions fortes. The Van (Erenik Beqiri) et All Inclusive (Teemu Nikki) font en effet preuve d’une efficacité redoutable pour décrire l’escalade dans la violence d’hommes qui n’ont plus rien à perdre.

Mais plus que tout, nous aurions aimé que la récompense suprême aille au film français LHeure de lours (And Then the Bear) réalisé par Agnès Patron. Seul court-métrage d’animation de la compétition, il se révèle le plus intrigant et hypnotisant de tous. Dans un noir obscur, un jeune garçon roux chevauche un ours et met en feu la ville… D’une grande beauté visuelle et poétique.

En revanche, la mention spéciale du court-métrage remise par le jury contrebalance le caractère conventionnel du film palmé. C’est dans une atmosphère sombre et fantaisiste que l’Argentine Agustina San Martin nous embarque avec Monstruo Dios. L’histoire ? Une nuit, le fonctionnement d’une centrale électrique perturbe le cycle d’une ville : les vaches fuient, un enfant est appelé à devenir le fils de Dieu et une adolescente cherche à s’enfuir. La photographie et le propos regorgent de délices et évoquent ici et là Jean-Pierre Jeunet. Par contre, la confusion est de mise. Beaucoup de spectateurs semblent ne pas avoir compris exactement le discours du film.

Lorsque Agustina San Martin a été interrogée sur celui-ci en conférence de presse, elle a défendu une vision artistique de cinéaste, qui ne cherche pas à tout expliquer. À une question d’un journaliste devenue dorénavant presque systématique sur la place des femmes dans l’industrie du cinéma, elle a répondu que sa seule présence en compétition à Cannes, en tant que jeune réalisatrice, argentine et lesbienne, prouvait qu’être une femme artiste gagnait en légitimité aux yeux du monde…