Dans l'ombre d'Hitchcock, Alma et Hitch

Un documentaire à la facture très originale, consacré en très grande partie à celle qui permit souvent à Hitchcock d’atteindre la perfection dans son art : son épouse, Alma Reville.

« J’ai pu constater qu’un homme ne vit pas seulement du meurtre, mais il a aussi besoin d’affection, d’approbation, d’encouragement et parfois, d’un bon repas. Je vais citer uniquement les quatre personnes qui m’ont donné le plus d’affection et leur collaboration constante. La première est une monteuse, la seconde est une scénariste, la troisième est la mère de ma fille Patricia et la quatrième, la meilleure cuisinière à avoir accompli des miracles dans une cuisine familiale. Et leur nom est Alma Reville ». C’est en ces termes que le « maître du suspense » avait rendu hommage à son épouse, le jour où l’American Film Institute l’honorait, le 7 mars 1979, pour l’ensemble de son œuvre, devant le tout Hollywood et surtout ceux et celles qu’il avait dirigé(e)s, James Stewart, Ingrid Bergman, Cary Grant, Janet Leigh, Anthony Perkins, Theresa Wright, Henry Fonda, Jane Wyman, Sean Connery, Tippi Hedren… La plupart des membres de cette prestigieuse assistance ignorait sans doute l’apport artistique considérable que « Hitch » devait à Alma depuis leur rencontre en 1922.

C’est ce que Laurent Herbiet s’est efforcé de prouver tout au long de cet excellent documentaire à la facture souvent singulière. Réalisateur du remarquable Mon colonel (2006), de plusieurs téléfilms très réussis (Adieu De Gaulle, adieu, 2009 ; Le Chant des sirènes, 2011) et de deux séries (Malaterra, 2015 ; Glacé, 2017), cet ancien assistant et coscénariste d’Alain Resnais est parvenu à rassembler un nombre considérable de documents, de photos et films de famille (qui montrent bien le côté facétieux du couple, toujours très complice), d’extraits de films d’Hitchcock (trente-six) et divers autres (vingt-deux), les juxtaposant de telle sorte qu’il nous offre un double récit. Ainsi, d’un côté nous rappelle-t-il les grandes lignes de la vie et de la carrière du cinéaste (dont des éléments peu connus, comme sa supervision du montage d’un film sur la libération du camp de Bergen-Belsen, en 1945, destiné à la population allemande, mais jamais montré) et, de l’autre, nous révèle les différentes contributions d’Alma Reville au travail créatif de son mari. Par exemple, nous y apprenons que Hitchcock lui doit l’idée du filmage en hélicoptère d’une scène de poursuite dans La Main au collet et surtout l’ordre des plans fixes du meurtre de Janet Leigh sous la douche dans Psychose. Le point fort du documentaire est qu’il ne présente aucun entretien avec qui que ce soit, contrairement aux habitudes informatives de ce genre de films. Le montage très dynamique de ces documents, accompagné d’un commentaire off d’une grande précision, jamais redondant et très justement lu par Elsa Lepoivre de la Comédie-Française, se veut particulièrement signifiant, quitte parfois à jouer avec des plans hitchcockiens que Herbiet télescope pour apporter une touche cinéphile et ludique à son propos. Seul petit reproche que nous lui adressons : le flashage en rouge de certaines images, dont la raison d’être nous échappe (fioriture passéiste ?). Remarque de cuistre, bien sûr. À voir, sans faute, par tout admirateur de « Hitch » qui se respecte !