Cannes 2016 : Jour 3

13 mai

La chute et l’envolée : Ma Loute de Bruno Dumont

Il y a d’abord la lumière, contrastée, éclatante, qui perce le réel, le transcende d’emblée, et confère aux visages des comédiens une présence renforcée. Dès ses premières images, Ma Loute, la comédie burlesque de Bruno Dumont, présentée en compétition, accroche l’œil et fait l’annonce de sa triomphante étrangeté. Il est là question d’une enquête autour de mystérieuses disparitions qui mettent la Côte d’Opale en émoi. Nous sommes en 1910, dans le nord de la France. C’est dans ce décor de sable, de mer lointaine et de ciel changeant, que se côtoient la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois exaltés (incarnés par Fabrice Luchini, Valeria Bruni-Tedeschi, Juliette Binoche et Jean-Luc Vincent), et une famille de pêcheurs locaux anthropophages (tous des comédiens non-professionnels). Ma Loute avance ainsi, entre ciel et terre – on y chute beaucoup, et l’on s’y envole aussi dans de jolies séquences surréalistes. Bruno Dumont y poursuit son exploration de l’âme humaine, poussant le curseur de la comédie parfois un peu loin : le burlesque fait ici souvent place au grotesque et à l’outrance. Sous le regard frontal et sobre du casting non pro, les comédiens aguerris (Luchini et Binoche en tête) jouent l’extravagance à l’état constant, et avancent ainsi sur un fil fragile, nous laissant tantôt sceptiques, tantôt séduits.

 


Fascination : La Danseuse de Stéphanie Di Giusto

C’est un premier long-métrage d’une grande ambition, et au sujet passionnant. La Danseuse de Stéphanie Di Giusto, présenté dans la section Un Certain Regard, retrace la trajectoire de Loïe Fuller, grande figure de la danse qui fit date et sensation à la Belle Epoque. Soko incarne avec fougue celle qui réinventait son corps en dansant sous des mètres de soie, les bras prolongés de baguettes en bois, à la limite de la transe. Une histoire forte (dont le scénario omet certains épisodes remarquables, comme la rencontre de Fuller avec Pierre et Marie Curie à qui elle avait demandé de lui confectionner un costume phosphorescent à base de radium), portée par un casting impeccable, dont Mélanie Thierry, Gaspard Ulliel et Lily-Rose Depp (la fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis, d’une beauté et d’une grâce inouïes) dans le rôle de la danseuse avide de gloire, Isadora Duncan.

 


Scènes de la vie conjugale : L’Economie du couple de Joachim Lafosse

Ils se sont aimés, ont eu deux filles et ont acheté une maison, mais cet amour est en berne et ce couple est désormais au bord de la rupture. L’Economie du couple de Joachim Lafosse (Ça rend heureux, A perdre la raison, Les Chevaliers blancs…), présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, séduit par son écriture en demi-teinte et le jeu très exact de ses comédiens, Cédric Kahn (belle présence) et Bérénice Bejo, toute en nuances et frémissements. On se souviendra longtemps de la séquence de danse en famille, moment très émouvant de liesse familiale, fragile et inattendu en la circonstance. Bel accueil à la Quinzaine, hier soir.

Cannes 2016 coulisse : l'économie du couple de Joachim Lafosse
Photographie : Anne-Claire Cieutat

 


Pendant ce temps, sur la Croisette…

Tandis que le festival bat désormais son plein, avec son lot d’agitation et de frénésie souvent absurde, certains ne se laissent pas perturber et, par leur intense concentration, arriverait presque à « zénifier » un pan de la Croisette…

cannes 2016 sur la croisette table d'échecs
Photographie : Anne-Claire Cieutat