12 longs-métrages, 12 fois Jim Jarmusch

Au très dynamique cinéma Star de Strasbourg, une intégrale Jim Jarmusch se tient du 1er au 28 mars. Elle y comprend les restaurations initiées par la société de distribution Le Pacte et son créateur, Jean Labadie. Retour sur une œuvre marchant au bras des poètes.

Permanent Vacation, 1980. Tout commence et tout est vide. New York est étrangement déserte. Jim Jarmusch projette ses premières images dans les rues de la ville, comme dans un temps post-apocalyptique. Son premier film met en marche son cinéma dans les pas du vagabondage zombie de Parker, jeune homme solitaire, sans attaches, errant dans la ville, rêvant du jour où il appellerait son enfant Charles, ça aurait de l‘allure de l’appeler comme cet oiseau du jazz, Charlie Parker.
Tout a commencé ainsi, par un vide existentiel, une errance lente, une solitude à la marge, et de la circulation poétique. Tout le cinéma de Jarmusch s’annonçait, ses obsessions et ses figures, ses élégances minimalistes, ses épures stylistiques, et chaque film désormais contiendrait tous les autres, passés et à venir, non dans un système mais dans un univers où l’on croiserait d’autres villes (L.A, Paris, Rome, Helsinki et encore New York dans Night on Earth, 1991), d’autres vies singulières (le vieux Don Juan mélancolique de Broken Flowers, 2005 ; le tueur à gages absurde de The Limits of Control, 2009). Tout serait écrit ainsi, simplement, trimballant des récits plein de temps suspendus, d’ellipses, de stases, de silences.

Comme s’ennuyait Parker s’ennuieront, entre New York, Cleveland et la Floride, les trois jeunes héros de Stranger Than Paradise (1984). Ils s’ennuieront dans ce road-movie de Nouvelle Vague, dans un noir et blanc sublime, paumés comme après eux, les personnages de Down by Law (1986), avec sa semblable monochromie en noir et blanc. Tom Waits joue dans Down by Law et convoque la mythologie rock au centre du cinéma de Jarmusch, réalisateur musicien.
Il n’y a pas seulement Screamin’Jay Hawkins dans Mystery Train (1989), périple à Memphis, Tennessee, dans le culte d’Elvis : Joe Strummer aussi fait l’acteur. Le chanteur des Clash sera le dédicataire de Coffee and Cigarettes (2003), film-assemblage de onze courts-métrages, avec du café et de la fumée, avec Iggy Pop qui a déjà inscrit avec Billy Bob Thornton son nom au casting de Dead Man (1995), western en noir et blanc à la noirceur griffée par les riffs fulgurants de la musique de Neil Young.
Johnny Depp s’appelle William Blake dans Dead Man. Jim Jarmusch fait entrer le poète et le poème dans son cinéma. « Chaque nuit, chaque matin, certains naissent pour le chagrin. Chaque matin, chaque nuit, certains naissent pour le délice exquis. Certains naissent pour le délice exquis, certains pour la nuit infinie ». La prose des images de Jarmusch ne cesse de partir à la rencontre des poètes : Walt Whitman et Robert Frost dans Down by Law (1986) ; Emily Dickinson et William Carlos Williams dans Paterson (2016) ; les fantômes de William Burroughs, Jack Kerouac, Allen Ginsberg dans le Tanger des vampires amoureux de Only Lovers Left Alive (2014).

Jim Jarmusch met en scène un cinéma jamais clos sur lui-même : il est ouvert, inspiré, sous influence, des poètes, des musiciens, des cinéastes devanciers, Wenders, Godard, Clouzot, Ozu, Bresson, Vigo, Melville (Ghost Dog, 1999, suit la voie du Samouraï). Il n’invente rien, il ne le veut pas, il ne le prétend jamais. « Dévorez de vieux films, de nouveaux films, de la musique, des livres, des peintures, des photographies, des poèmes, des rêves, des conversations aléatoires, de l’architecture, des ponts, des signes de rue, des arbres, des nuages, des plans d’eau, des ombres et des lumières. Choisissez seulement des choses à voler qui parlent directement à votre âme. Si vous faites cela, votre travail (et le vol) sera authentique. L’authenticité est inestimable, dit-il. L’originalité est inexistante. Et ne vous embêtez pas à dissimuler votre vol – célébrez si vous en avez envie. »

 


 

Le cinéma Star, amoureux du cinéma de Jarmusch, a lancé un appel à ses spectateurs : évoquer à son micro une musique, une chanson chérie dans la filmo du cinéaste. Une sélection de ces témoignages est diffusée avant chaque séance dans la salle.

www.cinema-star.com

BANDE À PART, partenaire de l’intégrale Jim Jarmusch au cinéma Star de Strasbourg,
du 1er au 28 mars.