Entretien avec Kiyoshi Kurosawa

Thriller angoissant dans la lignée de son superbe Cure, Creepy, un des derniers opus du maître Kiyoshi Kurosawa est sorti en salles mercredi 14 juin. Le réalisateur, dont Avant que nous disparaissions vient d’être présenté à Cannes, est revenu avec nous sur le tournage du film et sur sa façon de travailler.

Avez-vous tout de suite pensé à Teruyuki Kagawa pour jouer l’inquiétant voisin ?

A vrai dire, je voulais faire un film dans lequel figureraient à la fois Teruyuki Kagawa et Hidetoshi Nishijima (qui incarne le policier). Mais au départ je ne savais pas dans quel rôle. J’ai même imaginé que ça puisse être l’inverse. Comme, du point de vue de l’histoire, l’épouse de l’inspecteur finit par s’amouracher du voisin, je m’étais dit que cela aurait pu être plus simple que le voisin soit incarné par Nishijima, qui est très beau. Et puis finalement je me suis dit qu’il fallait garder la trame et échanger les rôles, que Teruyuki incarne le monstre.

Il a pourtant quelque chose de magnétique, de séduisant

C’est vraiment dû à sa performance en tant qu’acteur. On a tourné plusieurs fois ensemble et je remarque qu’il n’a jamais joué pour moi un personnage ordinaire, avec des valeurs morales classiques. Il incarne toujours des caractères un peu pervers, un peu décalés.

Dans quel contexte avez-vous découvert le roman ?

C’est mon producteur qui m’a proposé de le lire. Le roman original est en fait beaucoup plus long et l’adaptation que nous en avons faite ne traite que la première partie du livre, qui est une succession de faits assez simples. Alors que la seconde va chercher dans le passé des raisons, des justifications aux actes des personnages.

Cette absence d’explications apporte beaucoup à l’ambiguïté diffusée par le film

J’avais vraiment confiance en ce qu’est le cinéma. Autant ce n’est pas forcément le cas dans le cadre d’un roman, autant je trouve que le cinéma possède des arguments suffisamment persuasifs, à commencer par les acteurs que nous avons évoqués tout à l’heure. Et je pense que l’image a une force, le décor dans lequel on tourne… j’ai eu une foi en tout cela et j’ai voulu me restreindre au minimum, pour laisser tout le cinéma s’exprimer à travers l’intrigue, qui est en elle-même assez simple.

Le film rappelle d’autres de vos œuvres. Peut-on dire que vous vous êtes approprié le matériau d’origine ?

Je suis très heureux de vous l’entendre dire, néanmoins, le film n’existerait pas sans l’œuvre originale puisque cette idée de départ est à la fois très simple et très intéressante. Elle m’a séduit et joue pour beaucoup, à mon avis, dans l’intérêt du film.

Elle est presque hitchcockienne, vous ne trouvez pas ?

C’est effectivement une idée assez orthodoxe qu’aurait pu apprécier Alfred Hitchcock et c’est l’un des attraits du roman original.

Pourquoi utilisez- vous plus souvent qu’avant le cinémascope ?

Il y a une raison très simple à cela : à l’origine, mon format préféré était le 1.85. Je trouvais qu’il était le plus cinématographique, mais le problème est qu’au fil des années les télévisions ont fini par adopter ce format rectangulaire qui est devenu une norme. En voyant mes films, j’ai cru voir un produit télévisé. Je me suis dit qu’il fallait me distinguer de ça et, sans trop réfléchir j’ai commencé à tourner en cinémascope pour voir ce que ça donnait. J’aime vraiment le format, mais je sais qu’il me reste encore beaucoup de choses à explorer dans le domaine. Je ne suis pas encore tout à fait au point.

Son utilisation sur des films intimistes n’est-elle pas paradoxale ?

Je suis d’accord avec vous. On aurait tendance à penser que le cinémascope sert à filmer de vastes paysages avec des personnages qui évoluent à l’intérieur de ce cadre. En fait, je trouve, au contraire, que filmer un espace clos ou assez restreint avec le cinémascope permet vraiment de brouiller la perception de l’espace : nous sommes dans un lieu étroit, et en même temps, on ne sait pas jusqu’où ça va. Je trouve que ce décalage est assez intéressant et c’est ce que je suis en train d’expérimenter.