Sacré Salaud

Rencontre avec Jaco van Dormael, scénariste et réalisateur

Il paraît que chacun a en soi son propre clown. Triste et drôle. Le clown Jaco van Dormael, avec des amis clowns à lui, filme le clown de Benoît Poelvoorde, costumé en salaud de Dieu, tyran pathétique, domestique et universel. C’est un Dieu belge, de Bruxelles, un Dieu tout-puissant dont la fille va abolir le mal qu’il fait aux hommes. Parcouru par une singulière poésie existentielle, ce Tout Nouveau Testament, iconoclaste et bouffon, de Jaco van Dormael finit, avec ses clowns, par évangéliser l’amour pour les perdants magnifiques. Ceci est un conte d’amour et de croyance essentielle, en l’altérité et la bonté.

 

Entretiens avec Jaco Van Dormael sur son film Le Tout Nouveau Testament


Mais pourquoi diable Dieu ?

J’ai toujours écrit seul tous mes films. L’écriture pouvait me prendre plusieurs années. J’écris en fiches, que j’organise et que je mets sur des tables. Cela ressemble à un puzzle dont l’image ne sera pas à recréer, mais à inventer, avec un ciment pour assembler les pièces. J’écris des images quand j’écris avec les mots. Je vois des visages flous, des couleurs. Mais pour celui-ci, j’ai écrit avec Thomas Gunzig, un ami romancier. Quand on écrit seul et qu’aucune bonne idée ne vient, c’est une sale après-midi. À deux, c’est différent et plus drôle. Nous arrivons à faire ce qu’aucun des deux n’aurait pu faire seul et cela va plus vite. Thomas excellait dans l’écriture de la voix off, avec des tournures très littéraires et des allusions sensorielles. Cela a enrichi le langage des personnages. Les enfants du film parlent comme des livres, comme on ne parle pas dans la vie.

Et Dieu dans tout ça ?

Nous ne voulions pas que l’un amène une histoire à l’autre. Alors nous nous sommes installés dans le jardin, un été, et comme on essayait de se faire rire, on s’est posé la question de l’existence de Dieu. Et si Dieu existait ? Et s’il habitait Bruxelles ? Et s’il avait créé Bruxelles, et s’il y avait mis des girafes, des lions, et puis Adam et Ève ? J’ai souvent pensé à cette phrase de Woody Allen : « Si Dieu existe, il a intérêt à avoir de bonnes excuses… »

Que voulez-vous raconter grâce à Dieu ?

Je voulais parler de la fille de Dieu, de sa femme, dont il n’est fait mention nulle part. Il n’a jamais été envisagé de faire un film sur la religion. Il n’y a rien de pieux là-dedans. Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, les phrases prononcées par les femmes sont très rares. Alors nous avons imaginé que la fille de Dieu ouvrait sa gueule. Dieu a réussi à faire taire sa femme, mais pas sa fille, qui va se venger.

Ce Dieu malfaisant ne pouvait que s’incarner dans Benoît Poelvoorde ?

Il est adorable dans la vie, mais il joue terriblement bien les méchants et surtout les méchants très drôles. Il est plus facile de jouer les salauds quand on est un vrai gentil. Hitchcock disait qu’un bon film, c’est d’abord un bon méchant.

Catherine Deneuve se met en couple avec un singe dans le film. Trouvez-vous qu’elle a un humour belge ?

Elle a de l’humour, tout simplement. Je ne sais pas s’il est belge. Elle s’amuse beaucoup et elle n’a pas froid aux yeux. C’est une actrice qui n’a peur de rien. J’ai pensé à elle parce que je me suis souvenu qu’elle avait pris position au moment du mariage pour tous, en disant qu’il n’y a pas d’amour supérieur à un autre. Je me suis dit qu’elle serait bien dans le rôle de Martine, cette femme délaissée qui trouve plus d’amour et d’affection dans les bras d’un gorille qu’avec son mari.

Vous écrivez pour des acteurs ?

J’essaie de ne pas écrire pour un acteur, pour ne pas caler au cas où il dirait non. Il m’arrive de penser à des gens que je connais, qui existent dans la vie, mais cela reste toujours indéterminé et les choses se précisent au fur et à mesure. Ce film a d’abord été un film d’amis, parce qu’un peu fauché, avec un côté Arte povera. Après Mr.Nobody, il était difficile pour moi de trouver de l’argent. Je connais Benoît Poelvoorde depuis vingt ans, Yolande Moreau aussi, car nous étions dans le théâtre pour enfants tous les deux. Je connais François Damiens depuis quelques années et Didier De Neck est mon partenaire clown. J’ai voulu travailler avec des comédiens qui ont une large palette de jeu, qui viennent du cinéma, du théâtre, du cirque. Cinq ou six acteurs du film sont des clowns.

Qu’apportent les clowns au film ?

Ils ont apporté une dimension visuelle et comique.

Le Tout Nouveau Testament serait plutôt dans le registre du surréel...

Oui, peut-être parce que je suis belge et que cela en fait partie. La Belgique est un pays où il faut être fou, sinon on devient dingue. C’est un pays tellement ordinaire qu’il en devient surréaliste. Bruxelles, par exemple, est une ville assez moche, mais à force de la regarder, on lui trouve une certaine beauté.

La forme d’un conte qui n’est pas très religieux s’imposait ?

Comme tout cela n’est pas vrai, il fallait une forme décalée avec
des adresses à la caméra, des décors en carton. Nous n’étions jamais dans le réalisme, mais dans une narration à la fois poétique et absurde. Et tout est symétrique et frontal, même si c’est une porte de garage, et cela apporte un côté image pieuse. Nous avons aussi travaillé une certaine théâtralité.

Vous ne croyez pas en Dieu, mais le film ne cesse d’affirmer sa croyance, en l’amour, en l’autre. Et sa foi absolue dans les histoires...

Gilles Deleuze voyait un point commun entre la religion et le cinéma : entretenir l’illusion que la vie peut avoir un sens. Les frères Lumière disent : « Croyez-moi, le train entre vraiment dans la gare ». On recrée le réel pour faire croire au réel. Ce qui m’intéresse, moi, c’est la perception. Le cinéma est certainement l’art qui décrit le mieux les mécanismes de pensée. Il arrive formidablement bien à reproduire cela. Comme dans la pensée, on saute d’une idée à l’autre, on cherche des liens, on change dans le temps.