Les Salauds

Une très jeune fille en talons aiguilles déambule dans la rue, nue, l’air perdu. Du sang coule de son sexe, le long de ses jambes. Les Salauds commence et s’enfonce dans l’épaisse forêt d’un conte sauvage et endurci, qui se réfère aux Salauds dorment en paix de Akira Kurosawa et au Sanctuaire de Faulkner. Lola Créton avance dans la nuit de ce film spectral traversé de forces obscures et puissantes ; son errance nocturne est celle d’un cinéma qui se pare d’outre-noir. Et cette obscurité tendue, c’est l’éclat intime des ténèbres de l’âme humaine, sa splendeur tragique et implacable. Claire Denis descend dans ses profondeurs inaccessibles, pour en remonter, précise et radicale, sans jugement ; rien n’est tranché, du bien et du mal, tout est montré, avec la rigueur d’une violence blanche et terrible. C’est l’histoire d’un marin de retour à terre : le mari de sa sœur s’est donné la mort, leur fille est à la dérive. Cet homme de la mer a la présence opaque et résistante de Vincent Lindon : il affronte une vérité impensable dans l’enquête qui le mène à un homme d’affaires et à sa maîtresse, Chiara Mastroianni, beauté étrange, fantasme absolu. Il succombe, littéralement. Les Salauds excède de noirceur et de tristesse, dans l’art souverain du malaise. Il prend à la gorge et ne lâche plus. Il serre et il étreint. Sec et brutal. C’est de la peau, c’est de l’os, c’est du corps rapproché, érotisé, abusé, égaré. C’est froid, c’est âpre, ça cogne. Une folie magistrale et troublante. Un choc.