Nolan là-haut

Entretien avec Christopher Nolan

Il a rêvé d’espace depuis l’enfance et s’y projette avec Interstellar dans un esprit de conquête cinématographique et de quête d’absolu métaphysique.

Enfant, rêviez-vous déjà l’espace ?

Oui, je voulais faire des films avec des super-héros pour partir dans l’espace. Plus sérieusement, j’ai toujours voulu être réalisateur et j’ai fait mon premier film à 7 ans. J’ai toujours été très fasciné par l’exploration spatiale, parce que cette curiosité scientifique m’apparaît comme le meilleur de l’humanité, sa volonté d’inventer le futur. Cela justifie notre place dans l’univers.

Que reste-t-il du réalisateur de Memento, qui unissait tous les attributs du genre pour le détourner ?

Il ne reste probablement plus grand-chose, car à mesure que l’on vieillit, les atomes qui composent notre corps se transforment et se renouvellent et malgré les mémoires de ce que nous étions enfant et adolescent, nous devenons différents ! Mais s’agissant de cinéma, de Memento à Interstellar, le processus de réalisation est le même.

Quel a été le processus d’Interstellar ?

J’ai récupéré le scénario après que mon frère y eut travaillé avec le physicien Kip Thorne. Je l’ai réécrit en le combinant avec une autre idée de scénario. D’où ces deux pôles : la relation entre un père et son enfant, et l’anticipation d’un futur possible de l’humanité, cette idée de la terre comme un nid où l’humanité entière apprendrait à voler et à aller voir ailleurs.

A aucun moment vous n’avez pensé faire ce film en 3D ?

Non, bien que la 3D apporte une immersion plus intime dans les films où elle est utilisée, je voulais faire ressentir la dimension cosmique du film, que la plus grande surface de l’écran soit occupée par l’image. Les films en 3D ont tendance au contraire à rétrécir l’image et c’est exactement l’inverse que je souhaitais.

La découverte du format IMAX, auquel vous êtes attaché, est-elle liée à l’idée d’une mise en scène très verticale de votre cinéma ?

Dans tous mes films, j’essaie d’être un conteur ; l’histoire est importante, mais je ne perds jamais de vue la technique. Le fond et la forme se répondent. Ce n’est pas distinct. Cela n’est pas spécifique au cinéma et se vérifie pour d’autres médias. Le format participe de la narration. L’IMAX, que j’ai déjà utilisé trois fois dans ma filmographie, impose des choix esthétiques qui sont propres et une manière de raconter.

Vous considérez-vous comme un explorateur dans le cinéma ?

 Le voyage d’un réalisateur pour faire un film aussi long et complexe que Interstellar fait écho au voyage accompli par le personnage dans le film. Le thème riche de l’exploration spatiale apparaît comme l’exemple ultime du metteur en scène, par un effet miroir. Faire un film est une sorte de micro-version d’un voyage interplanétaire. Un voyage, et un combat, dans lequel on prend des risques.

On retrouve dans Interstellar le thème du deuil, comme dans Inception ou Dark Night...

Comme je réalise des films de genre grand public, des blockbusters hollywoodiens à grand spectacle, le mélodrame occupe une place importante, d’où ces variations autour du thème de la mort. Dans Interstellar, je ne voulais pas seulement que ce soit un élément moteur du récit et des personnages, mais une vraie question philosophique.

Il n’y a jamais eu autant de mélo dans votre cinéma, un aspect moins apparent jusque-là dans vos films…

Ce film déploie effectivement davantage d’émotion et ce que ressentent les personnages est essentiel. Je voulais ces moments d’émotions simples, combinés avec les moments plus scientifiques, plus ardus, plus complexes, pour accrocher le spectateur, qu’il ne se sente pas perdu.

L’amour fait-il partie d’une des dimensions, à l’instar du temps, de l’espace ?

Interstellar envisage le temps comme la quatrième dimension, un espace concret que l’on peut toucher, mais il célèbre l’amour comme un mystère qui résiste, difficilement explicable. Mais peut-être sommes-nous tous reliés d’une manière physique, géométrique, sensorielle ? Je ne sais pas vraiment répondre à cette question et le film sur ce point est ouvert, mais j’aime l’idée de montrer l’amour d’un point de vue plus physique.

Vous avez choisi la poussière comme élément destructeur. Est-ce une métaphore de la citation biblique « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière » ?

Je ne l’ai pas fait de manière consciente. Je voulais d’abord que Interstellar soit plein d’éléments symboliques, la poussière, mais aussi l’eau ou la glace. J’ai essayé de les utiliser de la manière la plus simple possible, sans charger leur portée symbolique ou métaphysique.

Quelles références ont forgé ce film ? Dans quelle histoire du cinéma avez-vous eu le projet de vous inscrire ?

Je m’inscris après Ridley Scott, Terrence Malick, Stanley Kubrick, Andrei Tarkovski. Mais si j’y songe, de nombreux cinéastes m’inspirent, en réalité. Vous ne pouvez pas réaliser un film de science-fiction sans reconnaître vos prédécesseurs, en prétendant que rien n’a existé auparavant, et donc je m’inscris forcément dans cette histoire du cinéma. J’espère avoir apporté quelque chose de neuf au genre.