David Lynch, travail vocal et Instagram

Entretien du coq à l’âne avec Charlotte Le Bon

Elle prête sa voix au commentaire du documentaire L’Anthropocène (en salle actuellement), et prépare son premier long-métrage en tant que réalisatrice. Entretien du coq à l’âne avec Charlotte le Bon, dont la pratique artistique s’étend du jeu à l’art plastique, en passant par l’écriture et la mise en scène.

 

Qu’avez-vous appris en travaillant aux côtés de David Lynch dans l'atelier où vous dessinez et sculptez à Paris ?

David Lynch m’a appris à ne pas avoir honte et à ne pas inhiber ma noirceur. C’est un homme lumineux dans la vie. Il prône la pratique de la méditation transcendantale, le bien-être, la légèreté de l’âme, et paradoxalement son travail est très noir. Je me rappelle lui avoir posé quelques questions à ce sujet, et il m’a expliqué que l’art est une forme d’exutoire pour lui ; c’est son filtre. On peut être joyeux et porter une noirceur en soi. Le plus important, me semble-t-il, est de savoir trouver le bon canal pour pouvoir, non pas se débarrasser de cette noirceur, mais la faire vivre d’une autre façon. Ce canal pour moi, c’est l’art, et j’essaie d’appliquer ces idées dans mon travail.

Magazine de cinéma - Charlotte Le Bon Interview - David Lynch - illustration Timothée Lestradet

La pratique artistique chez vous est multiforme. Cela se développe-t-il à mesure que le temps passe ?

Oui, car cela correspond à mon identité. J’ai été influencée par les hasards de la vie et mes rencontres. Là, je suis sur le point de réaliser mon premier long-métrage. Je l’ai écrit et je vais le tourner, si tout va bien, l’été prochain. Il y a dix ans, je n’aurais jamais pu imaginer penser à réaliser un film un jour, mais c’est le fait d’être devenue actrice qui m’a fait évoluer. De chroniqueuse télé, je suis passée à actrice par hasard et je me suis laissé porter par cette pratique, qui a fait évoluer ma vision du cinéma. Chemin faisant, j’ai eu envie de créer mon propre cinéma. Ce qui n’empêche que j’ai toujours besoin de peindre, de dessiner, de sculpter et de prendre des photos parallèlement. Tout cela fait partie d’un tout cohérent et de mon identité.

Comment vous êtes-vous retrouvée à prêter votre voix au documentaire L’Anthropocène - L'époque humaine ?

On me l’a proposé et j’ai dit oui avant même d’avoir vu le film, car j’estime que c’est une cause noble. J’ai été bluffée par la beauté des images et l’approche hyper esthétique, contemplative et presque douce de la prise de vues. C’était une évidence pour moi de m’associer à un pareil projet.

Quel rapport entretenez-vous à votre voix ?

Comme la plupart des gens, je ne suis pas hyper fan de ma voix ! Mais je sens qu’elle évolue avec le temps. Je l’utilise différemment, et plus je vieillis et j’ai confiance en moi, plus il me semble que j’ai moins une voix de tête. Et mine de rien, je sens bien que je me promène entre les accents. Mon français est hybride, mi-français, mi-québécois. Cela donne à ma voix une inflexion particulière.

Où vivez-vous ?

Entre le Québec et la France. Depuis peu, je me suis acheté une petite cabane au bord d’un lac au Canada, qui me fait le plus grand bien. Et j’ai un appartement à Paris. Je vais tourner mon film au Québec, donc je vais retourner bientôt là-bas pour le préparer. Dès que je suis libre, j’essaie de voir ma famille au Canada, mais je travaille en France la plupart du temps. C’est donc une vie entre deux pays !

Magazine de cinéma - Charlotte Le Bon Interview - illustration Timothée Lestradet

Comment définiriez-vous l’énergie propre au Québec ?

Il y a une décontraction propre à la vie au Québec, qui n’existe pas ailleurs. Peut-être parce que c’est un territoire vaste et qu’on y est peu nombreux. Même Montréal n’est pas une ville étouffante. Il y a quelque chose d’apaisant à se promener là-bas. Les gens y sont globalement plus simples et moins méfiants qu’en France.

Quel rapport entretenez-vous avec Paris ?

J’aime cette ville, car c’est elle qui m’a fait naître en tant qu’artiste. Je ne peux pas faire autrement que l’aimer, mais elle m’épuise un peu. Je trouve la ville trop bruyante et saturée, mais Paris est sublime.

Magazine de cinéma - Charlotte Le Bon Interview - illustration Timothée Lestradet

Quel est votre rapport aux images omniprésentes dans notre société ?

Mon métier consiste à essayer de faire quelque chose des images que j’ai constamment dans la tête. Toutes ces images sont sans doute influencées par celles que je vois tous les jours, mais cela concerne mon inconscient, qui fabrique sa petite banque à mon insu. Ces images ensuite m’habitent tellement que la seule chose que je peux faire pour pouvoir m’en débarrasser est de les mettre sur papier ou sur une toile. Je rêve aussi beaucoup, or les rêves sont aussi le fruit de ce que nous ingurgitons tous les jours.

Les étudiez-vous ?

Parfois, oui. J’aime bien les partager avec des gens pour tenter de les analyser. Il m’arrive aussi de faire des recherches dans mon coin  quant à la symbolique des rêves! Je suis souvent déçue à ce sujet, d’ailleurs ! En tout cas, j’essaie de noter mes rêves.

Quel rapport entretenez-vous avec votre portable ?

J’ai un rapport un peu coupable à mon portable, et notamment à Instagram, sur lequel je passe beaucoup de temps. Je fais de temps en temps des petites cures de désintoxication et à chaque fois, je me sens mieux. C’est à la faveur de ces cures que je réalise à quel point je suis capable de me saisir de mon téléphone machinalement et sans en avoir conscience. C’est vraiment devenu un réflexe moderne d’aller sur Instagram comme quelque chose d’égotique et un peu fou chez nous, et de cela je prends conscience lorsque je m’astreins à me couper de ces habitudes.

Magazine de cinéma - Charlotte Le Bon Interview - illustration Timothée Lestradet

Comment expliquez-vous le succès d’Instagram auprès des acteurs de cinéma, qui sont nombreux à gérer leur propre compte sur ce réseau social ?

Un acteur, par essence, a besoin d’être regardé. Un acteur sans regard n’existe pas. Je pense qu’Instagram vient nourrir notre petite angoisse de manque d’attention de façon quotidienne. Je pense que si l’on ne pouvait pas afficher notre nombre de followers, Instagram n’aurait pas autant de succès. Là, on arrive à mesurer l’attention que l’on suscite, chose qui est plus difficile à faire estimer au cinéma, par exemple. Tout cela est virtuel et absurde, mais j’y suis tout de même addict.

Avez-vous été récemment marquée par le jeu d’un acteur ou d’une actrice ?

J’ai eu une révélation récente en découvrant le jeu de Zendaya dans la série Euphoria : quelle maturité ! Je suis bluffée. Son rôle est à mille lieues, en outre, de l’image qu’elle génère dans les médias. Qu’elle est forte !