Un coeur simple

Rencontre avec Bruno Podalydès, réalisateur de Bécassine !

Comment trouver le mouvement de Bécassine dans le trait figé du dessin ?

J’ai collecté pas mal de vignettes des albums où elle avait des postures graphiques, souvent pas naturelles, mais tentantes. Les dessins de Pinchon sont très précis et on arrive vite à imaginer sa démarche : le corps penché en avant, appuyant sur chaque pas, sa façon de s’asseoir jamais confortable, jamais les pieds parallèles. C’est un dessin gracieux, avec souvent une petite perte d’équilibre qui entraîne de façon claire la case d’après. Cela permet d’extrapoler le burlesque de Bécassine. Beaucoup de choses du personnage passent par ce dessin.

Comment avez-vous travaillé cette démarche de Bécassine avec la comédienne Émeline Bayart ?

Par exemple, en cherchant comment, au lendemain de sa nuit blanche où elle doit donner le biberon à Loulotte, on la trouvait épuisée. On a mis au point une posture, les jambes écartées, décalée. D’autres fois, elle marche sur la pointe des pieds. On ne se disait pas qu’il fallait qu’elle ressemble à une case de Pinchon. J’avais déjà essayé dans Dieu seul me voit de demander à mon frère de prendre une position exacte de Tintin, mais on s’était rendu compte que les positions du dessin ne pouvaient pas être jouées par un acteur. Elles étaient possibles, mais pas du tout naturelles. Pour Tintin, cela produisait un effet comique, mais très composé, alors que pour Bécassine, la plupart des postures n’étaient pas de l’ordre du surjeu.

magazine de cinéma - Bruno Podalydès par Laurent Koffel.
Bruno Podalydès par Laurent Koffel.
Bécassine est, par conséquent, très reliée à son dessin originel ?

Oui, sur les plans d’ensemble. Comme c’est un personnage très joli graphiquement, l’œil la voit tout de suite dans l’image : on ne la perd pas de vue, jamais. En plus, aujourd’hui, on peut intervenir numériquement, en postproduction, à l’étalonnage. On choisit même la couleur du ciel, façon Mary Poppins, c’est merveilleux. On rend les choses plus féeriques qu’elles ne le sont au tournage.

Avez-vous cherché à moderniser Bécassine, à lui donner un nouveau style ?

On a travaillé dans les détails. On a ainsi cherché à rendre sa coiffure orientable, à jouer sur les oreilles un peu comme un chien. On les redressait quand elle était contente, on les lui plaquait quand elle était en voiture. Les orienter donnait une sorte de sémaphore de son humeur.

Que lui avez-vous apporté, à la Bécassine du film ?

J’avais le souci d’en faire une femme enfant dans un corps d’adulte. Je ne me moque pas d’un enfant qui fait des fautes d’orthographe ou qui tombe par terre. J’avais un regard non moqueur sur elle : on est attendri par un enfant naïf, par la crédulité. Les gens qui croient tout ce qu’on leur dit, je n’ai pas envie de me sentir plus malin qu’eux. Je fais appel à la part d’enfance de chaque spectateur pour ressentir, comme elle, les choses profondément.

magazine de cinéma - Bruno Podalydès par Laurent Koffel.
Bruno Podalydès par Laurent Koffel.
Vouliez-vous changer son image de sotte ?

Je ne voulais pas trahir Bécassine et je ne sais pourquoi on la juge si mal. Dans les albums, déjà, elle n’est pas stupide. Ce n’est pas une bécasse. J’ai beaucoup pensé à Un cœur simple de Flaubert ; une servante qui a un petit monde qu’elle s’est créé et qui tombe amoureuse d’un faucon. Bécassine me fait aussi penser à la peintre Séraphine. Je trouve ça charmant, la tentative d’ouvrir un livre très ancien et d’y voir comment cela peut fleurir aujourd’hui.

Quel caractère est fondamental chez Bécassine ? La bonté ?

Oui, donner sans calcul, sans attendre de retour.

Vous la laissez dans sa campagne, elle ne vient pas à Paris, finalement, pourquoi ?

Dans une version du scénario, elle venait à Paris, où elle était très malheureuse. Je n’avais pas l’argent pour tourner à Paris, alors j’ai préféré enlever plutôt que de faire mal. Elle rêve de Paris, alors c’était plus intéressant de filmer ce rêve, ce désir. Elle voit la Tour Eiffel comme un mirage. Elle intègre déjà l’idée que c’est une illusion.

Cette illusion est aussi celle du film : l’illusion est celle du spectateur comme celle des protagonistes de l’histoire. Il y a cette scène de bal, qui est du pur cinéma…

Oui, les silhouettes en décor peint étaient utilisées dans les films qui n’avaient pas assez d’argent pour payer des figurants.

Votre personnage est un escroc qui vend des illusions, lui aussi. Il était déjà saltimbanque dans les albums ?

Non, c’était un financier, qui a inspiré le Rastapopoulos d’Hergé. Je n’avais pas envie d’en faire un riche banquier, je le voyais plus comme un personnage bandit de Pinocchio.

Le biberon automatique de nuit, la machine à éjecter les œufs à la coque : d’où viennent ces inventions de Bécassine ?

De mon imagination fertile et de mon absolue inconséquence ! Ce qui est génial au cinéma, c’est que vous pensez à un truc, quelqu’un vous les fabrique et on croit que ça marche. Je me sers de mes compétences en magie pour faire croire que ça marche sans problème.

Il y a beaucoup de jeu avec les objets. Pourquoi ?

Je trouve que les acteurs sont souvent aidés avec les objets. C’est un point d’appui pour un personnage. Et quand j’enlève des objets dans un même décor, j’utilise un vieux procédé de Méliès, qui consistait à arrêter, enlever, reprendre. J’aime bien ce simple procédé de récit, tout comme j’aime bien les émotions primitives, comme dans le théâtre de marionnettes. C’est l’ombre projetée au fond de la grotte. 

Croyez-vous en la magie du cinéma ?

Un bon tour de magie est celui où on ne se demande pas comment on a fait. C’est un tour que l’on reçoit comme quelque chose de prodigieux. La raison décroche : on s’abandonne au magicien. Un bon narrateur, c’est pareil : il efface les coutures pour qu’on ne voie plus le truc de scénario. J’ai plus besoin d’un réenchantement du monde que de magie du cinéma : avoir les pieds sur terre et montrer que le monde peut être plein de surprises.