Le temps du cinéma #1

Entretien avec Isabelle Buron et Géraldine Cance, attachées de presse

BANDE À PART propose une série d’entretiens avec des professionnels du cinéma qui racontent leurs réalités du travail, les perspectives et ce qui se joue durant cette période unique dans l’histoire de l’humanité. Un confinement planétaire qui touche près de 4 milliards de personnes.

À l’heure où se prépare le déconfinement en France, alors que de nombreux festivals internationaux ont interrompu, reporté ou annulé leur édition 2020, tandis que d’autres ont opté pour une édition numérique, et que les salles de cinéma sont fermées, les tournages arrêtés, que se joue-t-il concrètement au jour le jour ?

Premier entretien avec deux attachées de presse de festivals, Isabelle Buron et Géraldine Cance, toutes deux touchées en plein vol un certain samedi 14 mars 2020….

 

 

Que faisiez-vous le samedi 14 mars lorsque l’annonce du gouvernement est tombée sur la fermeture de toutes les salles de cinéma en France ?

Géraldine Cance (G.C.) : Pour moi ce fut la veille, le vendredi 13 mars au soir car nous devions faire l’ouverture de la 42ème édition du Festival du Film de Femmes à Créteil. Le confinement a commencé à ce moment précis, et non pas le mardi 17, suite à l’annonce du gouvernement le 16 mars. J’étais aussi engagée pour la 15ème édition du Panorama du Cinéma du Maghreb et du Moyen-Orient (PCMMO). Dès samedi 14 au soir, nous ne pouvions plus être plus de 100 personnes dans le cinéma, personnel employé compris. Le PCMMO s’est arrêté. Pour le Festival du Film de Femmes de Créteil, c’était impossible d’envisager de le maintenir, la salle principale de la Maison des arts et de la culture de Créteil comprend 1000 sièges…

Isabelle Buron (I.B.) : J’étais en pleine préparation du festival CinéLatino, donc le vendredi 13 mars on a pris la décision d’annuler la venue des invitées, mais de garder tout de même les projections. Des pays ont commencé à déclarer vouloir fermer leurs frontières. Si nos invités étrangers pouvaient venir encore en France, il leur aurait été impossible de retourner ensuite dans leur pays. Et puis, le lundi 16 mars au soir, nous avons appris que nous serions tous confinés. J’ai dû faire un autre communiqué annonçant que, suite à la mesure gouvernementale, rien ne pourra se faire, que tout est annulé. Au départ, on pensait vraiment pouvoir le maintenir, aucune des salles ne dépassant 300 places. On pensait limiter la jauge. J’ajoute qu’en temps ordinaire, le festival rassemble 50 000 spectateurs.

Depuis ce temps arrêté il y a plus d’un mois, comment se déroule votre activité ?

I.B. : CineLatino devait se dérouler du 20 au 29 mars. On a cependant maintenu Cinéma en Construction, la rencontre professionnelle phare du festival qui permet de rassembler des professionnels pour leur proposer des films en finition qui cherchent des soutiens financiers. Ces films en post-production sont proposés en collaboration avec le Festival Internacional de Cine de San Sebastián et le CineLatino-Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse. J’étais au bout de la chaîne, c’est le festival qui a dû trouver la plateforme adéquate. Il a fallu aussi mettre tout le monde d’accord, les réalisateurs, les producteurs, les ayants droits, les partenaires qui sont impliqués dans la remise des prix. Tenk a été choisi pour les documentaires et  FestivalPro pour les longs-métrages de fiction et les courts-métrages. C’était nouveau pour nous, nous n’avions jamais utilisé ces plateformes auparavant.

G.C. : C’est un boulot énorme ! Nous avons dû faire face à ces mêmes problèmes au sein du festival de Music & Cinéma d’Aubagne.

I.B. : C’était un peu le branle-bas de combat d’organiser tout ça. Il fallait prendre en compte les différents jurys afin qu’ils s’accordent. De même, il me semblait logique aussi de proposer cette opportunité aux journalistes afin qu’ils puissent avoir accès aux liens des films, avec un maximum de sécurité.

Comment avez-vu pu faire votre travail de relation presse, alors que vous étiez toutes deux loin des cinéastes et des journalistes ?

I.B. : Pour ma part, j’avoue que c’était vraiment frustrant de ne pas être en relation directe avec la presse. Je ne voyais pas les gens. On est réuni par internet, par email le plus souvent. Certains avaient des problèmes de connexion. Tout le monde n’a pas un grand écran, ils ne voient pas les films dans de bonnes conditions, et pas tous de la même manière. Personne ne sait vraiment comment chacun regarde un film devant un écran d’ordinateur. Cela n’a aucun rapport avec la projection sur grand écran, dans une salle de cinéma, tous ensemble. Chacun est isolé. Tout ce qui relève de la rencontre disparaît, par exemple la rencontre entre les cinéastes et les journalistes. Or, c’est toute la nature de mon travail de créer ce contact qui est ici remise en cause.

G.C. : L’intérêt d’un festival, c’est la rencontre et la richesse des échanges entre les personnes. Montrer uniquement des films visibles sur un écran, c’est un cinquième de l’intérêt d’un festival ! J’ai été confrontée aux mêmes problématiques mais avec quand même une différence avec le festival d’Aubagne, car les films ne représentent que 10% du festival, dont le cœur de l’activité reste les concerts. Il nous était impossible de montrer ces concerts, comme les master-class. Les rencontres professionnelles ont cependant eu lieu en visioconférence. Prévu du 30 mars au 15 avril, suite à la mesure gouvernementale, le festival avait seulement 15 jours pour se retourner. Il leur était impensable de sacrifier un an de travail. La décision a été très rapidement prise de choisir une édition en ligne 100% Internet. L’équipe a remué ciel et terre pour sortir une plateforme qui n’existait pas pour eux avant. Décision a été prise de donner un libre accès aux films, par l’inscription avec un email et mot de passe. 70% des longs-métrages ont été ainsi proposés, ainsi que l’intégralité des courts-métrages.

Avec cette utilisation d’Internet et du cinéma en ligne, avez-vous noté des changements au niveau des publics, et aussi de votre relation avec la presse ?

G.C : Tout était nouveau et différent ! Pour Aubagne, d’abord le public venait du monde entier, c’est une nouveauté. On a dépassé les 20 000 personnes accréditées, mais le nombre de vues dépasse les 50 000 personnes, sans que l’on sache vraiment combien de personnes sont devant les écrans. Par exemple, peut-être était-ce une famille qui regardait un film d’animation, on n‘a aucune idée du nombre exact de personnes qui ont regardé les films. Pour les personnes accréditées, la moyenne est de 2,5 films regardés par personne. En temps normal, le festival fonctionne avec les publics scolaires, les ciné-concerts rassemblaient aussi énormément de monde. Mais pour cette édition spéciale, même si nous avons perdu ces publics jeunes et ceux des concerts, nous en avons gagné d’autres ! Par exemple, le film  Papicha n’a pas encore été montré en Algérie. La presse algérienne a très bien relayé l’information et grâce à la mise en ligne de la compétition, nous avons pu toucher le public algérien. Tout comme le film d’animation L’Extraordinaire voyage de Marona.

I.B : Pour tous les festivals pris dans la tourmente du confinement, les publics scolaires sont absents, c’est une perte assez importante. Le public qui vient regarder les films en ligne n’est pas du tout le même que celui qui fréquente habituellement les festivals. Je suis persuadée que nous avons subi une perte du public. Le festival a maintenu son pass payant pour la compétition qui a été prolongée jusqu’au 24 avril, afin de laisser du temps aux gens de découvrir les films.

G.C : On était quand même au tout début du confinement pour nos festivals. Seulement quinze jours étaient passés, on tournait encore un peu en vase clos, entre professionnels qui se tenaient au courant. Il faut dire aussi que les gens ne se précipitaient pas autant sur leurs écrans pour découvrir des films, comme c’est le cas depuis. Pour Aubagne, j’ai eu une excellente presse qui a relayé l’information. Je me demandais à chaque fois qui la lisait en cette période étrange…Par exemple, j’ai le fil d’actualité de BANDE À PART qui passe, et si je n’avais pas eu l’info du festival, je l’aurais eue par BANDE À PART.

Vous avez utilisé les plateformes, des nouveaux outils au sein de votre travail d’attachée de presse de festivals. Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience et de ce principe de réalité ?

I.B : On a tout de même pas mal tâtonné avec ces plateformes, c’était tout nouveau pour nous. C’est un processus qu’on n’avait jamais mis en place.

G.C : Contrairement au festival Music & Cinéma d’Aubagne, le Festival du Film de Femmes de Créteil n’a eu aucun moyen de se retourner. En effet, son ouverture a coïncidé avec l’annonce de la fermeture des salles de cinéma. C’était un tsunami, l’équipe a été sonnée, personne ne voyait arriver ça. Ils n’avaient pas le temps de mettre le festival en ligne. Jackie Buet, co-fondatrice et directrice du festival, a su m’écouter lorsque je lui ai expliqué comment Aubagne mais aussi ton festival, Isabelle, CineLatino, cherchaient des solutions pour une mise en ligne, même partielle. Il était devenu évident et essentiel que les films soient vus par les jurys, et qu’ils soient dotés. Cela a pris du temps, mais on a tout de même réussi à le mettre en place. Seuls les courts métrages et les documentaires ont été choisis pour être primés. Les six films de fiction ont été réservés pour une programmation, prévue cet automne en salle de cinéma.

I.B : Nous avons prévu d’inviter en octobre la cinéaste documentariste brésilienne Maria Augusta Ramos pour des séances à la Cinémathèque de Toulouse. Certaines parties de la programmation seront aussi programmées l’année prochaine pour la 33ème édition. Je dois dire que, pour moi, la plateforme doit rester un outil exceptionnel sinon pourquoi faire un festival de cinéma ? Un film doit se voir en salle. A situation exceptionnelle, moyen exceptionnel, et ça doit le rester.

L’annonce de l’annulation du festival de Cannes, dans l’immédiat du moins, a-t-elle eu un effet important pour vous deux ?

I.B. C’est mon plus gros budget de l’année, c’est une perte très importante, je peux considérer 2020 comme une année morte. En tant que micro-entrepreneur, j’aurai vraisemblablement droit aux 1500 euros annoncés par le gouvernement.

G.C : Cannes représente une perte de deux mois de salaire avec Visions Sociales. Etant au régime général, c’est en partie compensé par le chômage. On peut toujours faire vivre un festival sans attachés de presse, car je dois le rappeler, c’est toujours le premier poste qui saute en cas de souci d’argent.

Malgré les contraintes très dures que chacun peut rencontrer, que cette expérience humaine vous inspire-t-elle ?

G.C : Pour ma part j’envisage une ferme bio, en permaculture avec une salle de cinéma où des projections régulières auront lieu.

I.B : On peut s’associer, Géraldine ? Pour ma part, j’ai vraiment du mal à me projeter. Avant cet évènement, j’ai vécu un tsunami dans ma vie, et c’est la deuxième vague que je n’attendais pas. Je ne sais pas. On a envie évidement de rester utopique, même si je reste plus que dubitative. La nature reprend ses droits, et c’est tant mieux, mais comment ne pas voir que certains se trompent en exigeant que nous travaillions plus encore… Hélas des personnes qui dirigent des états persistent à nier le réel. Nous ne sommes pas isolés de la même manière, et malgré tous les soucis privés, je me sens privilégiée par rapport à d’autres situations bien plus terribles.

G.C : Je reste optimiste sur la réelle capacité des gens, et surtout des jeunes à rebondir. Cette situation a fait germer de nouvelles idées, l’inconnu fait certes peur mais je trouve que nous sommes relativement calmes et solidaires.

 

Entretien réalisé en visioconférence le 17 avril 2020

Isabelle Buron : https://ibpresse.com/

Géraldine Cance : https://www.geraldine-cance.com/