Deux ans et demi sur les plateaux

Entretien avec Anya Taylor-Joy

À l’affiche du dernier film de M. Night Shyamalan, la jeune comédienne s’est imposée en à peine plus de deux ans comme l’une des actrices prometteuses du cinéma américain.
D’une consécration à Sundance avec The Witch au tournage avec l’un des grands noms du cinéma fantastique pour Split (en salle le 22 février), itinéraire d’une star en devenir.

Quand on regarde votre filmographie, on y trouve surtout des films fantastiques ou de science-fiction : The Witch, Morgane et maintenant Split. Est-ce un choix ou un accident ?

C’est un heureux accident ! Je n’ai pas de plan de carrière, je fonctionne surtout à l’instinct. Et avant de m’intéresser au genre du film, je regarde surtout les personnages. Et là, à chaque fois, ces rôles me sont apparus comme des évidences. Quand on m’a proposé le rôle de Thomasin dans The Witch, on m’a aussi proposé en même temps un rôle principal dans une série de Disney. Et je suis une grande fan, mon rêve depuis toujours est de jouer dans un film Disney ! Mais au fond de moi, il y avait comme une voix qui me conseillait de choisir le film indépendant sombre et étrange plutôt que la comédie colorée Disney.

Aviez-vous accès aux scénarios avant de participer aux castings ?

Depuis le succès de The Witch, je reçois beaucoup de scénarios. Mais le casting de Split a eu lieu avant la sortie de The Witch, et Night Shyamalan ne l’avait pas vu. Alors, comme tout le monde, j’ai fait le casting sans savoir exactement pour quel rôle j’auditionnais. Mais quand on m’a proposé celui de Casey, j’ai demandé à lire le script avant d’accepter. Aujourd’hui, le processus s’est inversé : on m’envoie des scénarios, on m’offre des rôles sans que j’aie besoin d’auditionner. Mais je refuse d’accepter quelque chose que je n’ai pas eu l’impression de mériter. Si un rôle qu’on me propose m’intéresse, je demande systématiquement à passer une audition. Il faut que ma vision du personnage soit en adéquation avec celle du réalisateur.

Entre Thomasin de The Witch, Morgan du film éponyme, et maintenant Casey de Split, vos personnages se ressemblent beaucoup : des adolescentes mutiques, renfermées et qui cachent en elles un traumatisme…

Ce qui est drôle, c’est que j’aurais rêvé jouer des personnages fous et excentriques comme Hit-Girl dans Kick-Ass, mais pourtant, à chaque fois que je lis un scénario et qu’il a un personnage enfermé dans un monde sombre, je me dis, comme une évidence, que c’est un rôle pour moi.

C’est le travail psychologique sur les personnages qui vous attire ?

Je pense. Le personnage de Casey dans Split a dû se construire un monde intérieur incroyablement profond pour survivre à son traumatisme et à la violence du monde extérieur. Tout le travail est intérieur, et pour moi c’est fascinant. D’ailleurs, ça a fini par me changer moi-même : j’ai toujours été très bavarde et aujourd’hui je peux passer de longs moments silencieuse, comme Casey.

Avant de participer au casting de The Witch, vous aviez auditionné pour le rôle de la Belle au Bois Dormant dans Maléfique, autre production Disney, sans être retenue. Pensez-vous que votre carrière aurait été différente si vous étiez entrée dans le monde du cinéma par la porte du blockbuster hollywoodien plutôt que par celle du film indépendant ?

Oui, complétement. The Witch a radicalement changé ma vie. Les gens que j’ai rencontrés pendant cette aventure, le réalisateur, les acteurs, sont devenus ma famille. Nous sommes restés très liés, plusieurs années encore après le tournage. Je suis très curieuse, et j’adorerais travailler sur un blockbuster, un film de super-héros par exemple. Mais d’une certaine manière, je me sens plus proche du cinéma indépendant. D’ailleurs, le dernier film que j’ai tourné, Thoroughbred de Cory Finley vient d’être présenté au Festival de Sundance – que j’adore. Je ne fais pas de stratégie de carrière, j’ai envie de tourner dans des films que je suis fière de défendre. J’adorerais travailler avec Damien Chazelle, par exemple. Je suis fan de Whiplash, que j’ai vu deux fois de suite. C’est une des plus grandes expériences de cinéma que j’aie vécues.

Avant de connaître le succès en tant qu’actrice, vous étiez danseuse de ballet. Comment s’est opérée la transition ?

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours rêvé d’être une actrice. Pour moi, être danseuse de ballet, c’était déjà être actrice. Il n’y a que des mouvements et pas de paroles, mais c’est simplement une autre manière de raconter une histoire. Puis le cinéma s’est imposé. Je me souviens de ma première expérience sur plateau, pour la comédie Vampire Academy en 2013. Je n’avais qu’une seule journée de tournage, et mon rôle a finalement été coupébau montage. C’était un tout petit rôle, mais à la fin de journée, quand j’ai rejoint ma loge, tout mon corps tremblait, j’étais presque en état de choc ! J’avais jusque-là une vision très abstraite du métier de comédien, mais quand j’ai vu l’ambiance du plateau, l’immense équipe qui s’agite, toute la machinerie, j’ai su que c’était là que je voulais passer ma vie. Que j’étais faite pour ça.

Ça ne vous manque pas, la danse, le ballet ?

Si, bien sûr ! La danse est un travail si complexe qu’il est impossible de penser à autre chose. Quand je danse, tout mon esprit est focalisé sur mes mouvements, et ça me permet de me recentrer, de méditer. J’aimerais pouvoir trouver le moyen de conjuguer le métier d’actrice de cinéma et de danseuse. Mais à nouveau, ces deux mondes ne sont pas si opposés. Le travail sur le personnage de Casey dans Split était surtout un travail sur le silence. Et la préparation de ce personnage était assez proche de celle d’un personnage de ballet, en un sens.

Vous n’avez pas fait d’école de théâtre, ou de cinéma. Depuis que vous êtes comédienne professionnelle, comment se passe votre formation au métier d’actrice ?

C’est difficile à dire, car tout est arrivé très vite. J’ai encore du mal à me dire que je suis vraiment une actrice, et pourtant j’ai déjà tourné dans six films. J’ai eu mon premier vrai rôle il y a deux ans et demi et depuis, je n’ai pas passé plus d’une semaine sans travailler sur un film, que ce soit en tournage ou en promo. Entre le tournage de Barry et de Split, j’ai eu une journée de break, entre The Witch et Morgane, quatre jours. Je n’ai pas le temps de travailler autre chose que mes rôles. Mais je ne me plains pas, c’est un rythme de vie que j’adore ! Pour moi, la meilleure formation, c’est d’être sur le plateau, car tu apprends en même temps que tout se passe. Tu sais tout de suite ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Et les acteurs avec qui j’ai tourné sont de formidables enseignants. James [McAvoy], par exemple, maîtrise à la perfection l’improvisation, et c’est fascinant de le voir travailler. Je vais sur le plateau tous les jours, même si on n’a pas besoin de moi. Je passe la journée parfois avec le département caméra, d’autres fois avec les électro, les machinistes. J’ai envie d’apprendre le rôle de chacun, et comment tout fonctionne. Une fois que j’aurais une parfaite compréhension d’ensemble, j’adorerais passer à la réalisation.

Vous êtes considérée aujourd’hui comme une des actrices « de demain » du cinéma américain. J’imagine que tout ça se prépare… Combien de personnes travaillent autour de vous au jour le jour ?

Je n’ai pas de coach, mais j’ai un agent publicitaire qui gère mon image et avec qui je passe de plus en plus de temps. Il m’a appris à aimer me faire maquiller, moi qui détestais ça, d’habitude. Et surtout, j’ai mon agent artistique. En réalité, c’est davantage ma meilleure amie, elle est avec moi depuis le début, et elle n’est jamais allée à l’encontre de mes désirs ou de mes choix professionnels. On est toutes les deux sur la même longueur d’onde. De toute façon, je suis très bornée dans la vie en général, et c’est impossible de me faire faire quelque chose dont je n’ai pas envie ! Je crois que tout revient toujours à The Witch. C’est mon premier film et ça m’a donné un standard. Voilà le cinéma que j’aime.