Les grands thèmes de Cannes 2018 : C’est la lutte (finale)

En guerre ! Stéphane Brizé a raison : oui, nous sommes en guerre. Pour garder notre travail, notre raison de vivre, notre dignité. C’est une question de vie ou de mort : voilà ce que nous apprendra tragiquement le destin du syndicaliste joué par Vincent Lindon, avec la même lucidité et la même colère que dans La Loi du marché qui lui avait valu un Prix d’interprétation masculine.

On le reconnaît, son personnage qui remonte les marches de la compétition de Cannes : c’est le même, en guerre contre le système, avec ses vivants et ses morts. Dans Nos batailles de Guillaume Senez, à la Semaine de la Critique, un homme se suicide parce qu’il va être viré. Plus de cinquante ans, trop vieux, pas assez productif et rentable pour le système. Le système exclut, il tue.

La guerre est partout, elle fait des victimes. Il y a les morts, les blessés, les survivants. Parmi eux, les enfants. Le petit Zain de Capharnaüm de la Libanaise Nadine Labaki : l’histoire d’un enfant qui se rebelle contre sa vie de misère, dans un bidonville. C’est un combattant, l’enfant, plus grand que le monde adulte. Par hasard, il se retrouve à veiller sur un bébé dont la société a enfermé la mère, sans papiers. Elle aussi était en lutte, avant d’être arrêtée. Elle travaillait, d’arrache-pied, elle était au cœur de l’horreur économique, elle cachait son gosse dans un réduit, à son boulot. Elle était clandestine.

Heureux comme Lazzaro de Alice Rohrwacher. Copyright Tempesta 2018.

La guerre est partout. En France, au Liban, en Russie dans Ayka du Kazakh Sergueï Dvortsevoy. Ayka, dans ce deuxième film du réalisateur de Tulpan, vainqueur du Prix Un Certain Regard en 2008, est aussi une héroïne clandestine, sans papiers. Elle a abandonné son nouveau-né. Elle survit, dans le froid, la neige. Ce monde est glaçant.

La guerre est partout, même dans les contes. Lazzaro Felice de l’Italienne Alice Rohrwacher, transporte le bienheureux et candide Lazare, visage pur de l’innocence, aux confins de la ville, dans une cabane où sa famille survit comme elle peut, même avec quelques tours de passe-passe d’une souriante arnaque. Lazare et les siens, avant d’être aux marges de la ville, étaient au cœur d’un monde d’un autre âge, asservis comme au Moyen Âge. Ils se soumettaient aux règles du maître, ils étaient les esclaves. Bienheureux ceux qui ne savaient pas. Le cinéma, lui, sait. Il agit, en conscience.