Cannes 2018 : Année Queers

Millésime abondant côté présence homosexuelle, bisexuelle, transsexuelle, plurisexuelle, pansexuelle, altersexuelle, à Cannes. Une représentation du monde et de l’humanité dans sa diversité, sa richesse, sa mixité. Grandes lignes et films marquants.

L’édition annuelle a tout d’abord abordé le sentiment et la force de la rencontre entre deux êtres (voir article sur La rencontre amoureuse). Deux jeunes filles sont confrontées au foudroiement du désir dans Rafiki de Wanuri Kahiu (Sélection officielle, Un Certain Regard) et Carmen & Lola d’Arantxa Echevarria (Quinzaine des Réalisateurs). Un état des lieux de l’amour entre deux personnes du même sexe, dans la société cadenassée du Kenya pour le premier, et de la communauté gitane espagnole dans le second. Deux hommes de générations différentes (un jeune homme, un homme déjà mûr) croisent leur destin dans Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré (Sélection officielle, compétition). L’amour qui les lie les confronte à leur rapport au monde.

La compétition pour la Palme était fortement marquée par le désir au masculin côté français, avec également le second long-métrage de Yann Gonzalez, aux références cinéphiliques et au cinéma de genre bis, dans Un couteau dans le cœur. Une productrice de films pornographiques gays français des années 1970, ses apollons, et ses équipes y subissent les assauts d’un serial killer masqué. Une fantasmagorie portée par une esthétique pop et un ton décalé, arboré aussi par le moyen-métrage de Bertrand Mandico (acteur dans… Un couteau dans le cœur !) : Ultra pulpe (Semaine de la Critique). Une sorte de doublon court du film précédent, puisqu’il narre la fin de la relation amoureuse entre une réalisatrice et une actrice, sur un tournage de film fantastique de série B, où il est question de fin du monde, dans un délirium formel et stylistique épatant.

Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré. Copyright Jean-Louis Fernandez / LFP- Les Films Pelléas - Gaumont - France 3.

Le délire est aussi au programme du premier long-métrage portugais Diamantino (Grand Prix de la Semaine de la Critique). Le duo luso-étasunien de cinéastes Gabriel Abrantes / Daniel Schmidt y portraitise une icône du football, surnommé Diamantino, qui atteint des sommets dans son art lorsqu’il voit des pékinois géants dans des nuages roses autour de lui. Dans un récit touchant au conte, ses sœurs jumelles le manipulent et empochent un magot en le faisant cloner, et l’athlète du ballon rond tombe amoureux d’une lesbienne. Vitalité aussi dans le documentaire Cassandro, the exotico ! de Marie Losier (Acid), qui suit le catcheur homo mexicain éponyme, et son existence anti-conventionnelle dans cette nation latino. Délire version étrange et abîmes dans Climax (Quinzaine des Réalisateurs), où le trublion Gaspar Noé saisit la nuit infernale d’une troupe de danse réunie et isolée pour une dernière répétition, propulsée par une drogue que tous ont ingurgitée à leur insu via leur sangria. Au milieu de l’horreur, le désir se fait une place, et protège la chorégraphe et une danseuse, qui passent la nuit ensemble et finissent enlacées, au petit matin.

L’âpreté est carrément au cœur de deux premiers longs qui ont fait sensation. Sauvage de Camille Vidal-Naquet (Semaine de la Critique). Les quelques mois de la vie d’un « vingtenaire » strasbourgeois sans attaches, qui tapine, tombe amoureux sans être aimé en retour, et cumule les chutes, jusqu’à une éclaircie possible. Sans esbroufe, sans enjolivement, sans moralisation. Et Girl de Lukas Dhont (Sélection officielle, Un Certain Regard), parcours du combattant d’une jeune trans, ultra-décidée à troquer son enveloppe masculine pour celle, féminine, qui correspond à son intérieur. Compliquée quand on a quinze ans, qu’on traverse l’adolescence, et qu’on intègre une école de danse classique pour devenir étoile, au pays de la discipline ultime, du groupe et des convoitises.

Girl de Lukas Dhont. Copyright Diaphana Distribution.

Une aubaine pour les jurys de la Caméra d’or, qui récompense le meilleur premier film, et de la Queer Palm, qui distingue le meilleur film traitant des thématiques altersexuelles. Deux prix englobant toutes les sections confondues (seule la Queer Palm prend en compte les films de la section Acid). Tous deux ont plébiscité Girl. Preuve de la vitalité du jeune cinéma et de l’implication dans la création de toutes les questions Queer, cette année. À noter que la Queer Palm a aussi primé le court-métrage brésilien O Orfão de Carolina Markowicz (Quinzaine des Réalisateurs). La directrice du CNC Frédérique Bredin a annoncé à cette occasion le prochain soutien de l’organisme étatique à la Queer Palm. Signe fort.