La Tortue rouge

L’Éden et après

Somptueuse allégorie de la vie. Douce poésie du temps qui passe et de la transmission. Le cinéaste prodige de l’animation livre enfin son premier long-métrage. Une épopée humaine, où la finesse se mêle à son art de raconter l’universalité. Primé à Cannes en mai dernier.

L’histoire est simple. Ultrasimple. Un homme, seul rescapé d’un naufrage, échoue sur une île déserte. Une plage. Des rochers. Une forêt de bambous. Des crabes dans le sable. Des poissons dans l’eau. Des jacquiers. Et puis le miracle du conte. L’homme n’est plus seul et la fable peut décoller. Les fils narratifs des films de Michaël Dudok de Wit sont toujours rudimentaires. Ils se nourrissent de l’altérité et reposent sur le lien profond qui unie l’être humain à l’autre. Adulte, enfant (court-métrage Father and Daughter) ou animal (court-métrage Le Moine et le Poisson). Avec toujours, la fantaisie, et une émotion intense, qui déborde de l’écran et reste imprimée dans la mémoire du spectateur.

Son passage au long-métrage est éclatant. Mais en douceur. Car le cinéaste néerlandais ne joue pas l’esbroufe et le bling-bling. Son univers repose sur l’art de la délicatesse, de la subtilité, des petits riens qui deviennent immenses. Immenses comme l’universalité qu’il atteint indéniablement. Mais toujours sur le fil. Ses personnages ne parlent pas. Tout est dit dans le trait du dessin, simplissime, dans le mouvement choisi, dans le choix des couleurs, dans les situations et dans l’évolution humaine. Et dans le travail sur le son. Du craquement des pas sur le sable au bruissement des feuilles. L’expérience vécue avec le héros de La Tortue rouge et sa famille naissante se fait en totale immersion pour celui ou celle qui la regarde.

L’ampleur domine. Ampleur de la mer, de la solitude, de l’isolement, de l’attente, de l’espoir, de la forêt, de l’amour, et des mouvements de nage de la fameuse tortue éponyme. De la menace aussi, de l’abandon au tsunami. Dudok de Wit revisite l’Éden comme idéal de vie, avec une poésie métaphysique qui rappelle l’animation japonaise. Logique, quand on sait que le fameux Studio Ghibli est producteur de cette aventure, et que le maître Isao Takahata (Le Tombeau des lucioles, Mes voisins les Yamada) en assure la direction artistique. On y retrouve ce même esprit du divertissement, en images créées de toutes pièces, et transcendé par l’humanisme et la pensée magique. Car il faut renverser l’adage, et ici croire pour voir.

Pascale Ferran l’a bien compris en rejoignant le projet comme scénariste. Elle qui, dans son dernier opus Bird People, a convoqué la magie en transformant l’humain en oiseau. Ici, la tortue devient femme et peut déjouer le réalisme et la fatalité. Prix spécial du jury Un Certain Regard à Cannes, et programmé en ouverture du Festival d’Annecy, La Tortue rouge reste l’un des moments clés de l’édition cannoise 2016, qui a enfin fait la part belle au cinéma d’animation, avec aussi Ma vie de courgette de Claude Barras à la Quinzaine des Réalisateurs, et La Jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach à l’Acid.