Respire

Tracas et fracas

Pour son deuxième long-métrage comme réalisatrice, Mélanie Laurent approche l’amitié adolescente, de la fusion à la cruauté. Avec deux splendides révélations d’actrices : Joséphine Japy et Lou de Laâge. Juste et bouleversant.

« Une arrivée en cours d’année ». C’est ainsi que Sarah transforme la vie monotone de Charlène dite Charlie. La première est aussi blonde et fantasque que la seconde est brune et réservée. Jusque-là, le quotidien de Charlie s’écoulait sans histoires. Doucement au lycée, entre sa meilleure amie Victoire et son groupe de potes, les parties de baby-foot, le bac à la fin de l’année ; lourdement à la maison, entre sa mère éplorée, son père absent, sa chambre et ses devoirs. Pour son deuxième long-métrage comme réalisatrice, après Les Adoptés, comédie romantique virant au mélo, la comédienne Mélanie Laurent adapte le roman d’Anne-Sophie Brasme et vire de la chronique lycéenne au drame de la cruauté.

Comme un temps suspendu, le coup de foudre amical se traduit en quelques images parlantes : très vite, la meilleure amie passe au second plan, et la pimpante transmet un peu de sa splendeur (maquillage, échange de fringues) à Charlie, qui de chenille devient papillon… C’est comme si, en proie jusque-là à des crises d’asthme, l’adolescente voyait, grâce à la présence magique de Sarah, se renouveler l’air qu’elle respire.

Mais ce qui se noue entre ces deux-là tourne à l’insidieux, au vénéneux. Des petits riens au début : quand Charlie la présente comme une « copine de classe », Sarah se vexe et comme on la comprend ! Après tout, ne sont-elles pas devenues les meilleures AMIES du monde ? Puis elle s’invite en vacances, s’impose auprès des proches, s’approprie la mère de Charlie… Amour. Désamour. L’adolescence, ses tracas et ses fracas. L’enjôleuse est versatile, elle isole sa proie, l’éloigne de son groupe, puis la laisse seule, ostracisée, au bord de la dépression.

Que Sarah soit une « perverse narcissique » n’intéresse pas la réalisatrice du point de vue du diagnostic. Elle filme les ravages des sentiments, les élans de ces deux jeunes femmes l’une vers l’autre, puis l’une contre l’autre, sans cesse dans le mouvement, le souffle et le regard. Sensuelle et sensitive, la caméra enveloppe les personnages, capture les frémissements, les hésitations, les tourments. Et Mélanie Laurent dirige ses actrices dans des contrées inexplorées. Isabelle Carré, à contre-emploi en mère chiffonnée, Carole Franck effrayante en mère alcoolique. Et Joséphine Japy (Charlie) et Lou de Laâge (Sarah) tragiques et drôles, évidentes et opaques. Lumineux et sombre à la fois, Respire est une œuvre rare et radicale qui saisit comme jamais cet âge des possibles, ses transformations et trahisons, ses légèretés et gravités. Et nous laisse à bout de souffle.