Réparer les vivants

Deux cœurs, et quelques autres

Après Un poison violent et Suzanne, la cinéaste Katell Quillévéré adapte au cinéma Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, et signe un film d’une très grande intensité émotionnelle. Bouleversant.

C’est une histoire de cœurs. D’un cœur qui s’arrête de battre et d’un autre, fragile et menacé, qu’il faudrait remplacer. Dans Réparer les vivants, il est constamment question de vie et de mort, l’une faisant la courte échelle à l’autre, dans un grand tout où chacun est étroitement relié aux autres.

Dans ses premières séquences, le film suit quelques heures de la vie de Simon, un adolescent amoureux d’une jeune fille, fan de surf et en pleine santé, qui fait le mur avec ses copains pour aller taquiner les vagues en pleine nuit. La scène de surf, au début du roman, est un sidérant modèle de précision dans sa description des mouvements. Dans le film, c’est une séquence sublime où les corps et la mer ne font qu’un, sous une lumière bleutée, entre chien et loup. S’y déploient la vitalité des personnages, leur jeunesse triomphante. Jusqu’au moment fatidique : un accident de voiture violent, au retour de la plage, plonge Simon dans un coma dont il ne pourra ressortir.

 

Dans le même temps, Claire, une femme d’une cinquantaine d’années, voit ses jours comptés lorsque son médecin lui signifie que son cœur faiblit dangereusement. Il lui faudrait une greffe pour survivre. Entre ces deux personnages, Simon et Claire, un lien va se nouer et c’est le cheminement du cœur de l’un vers le corps de l’autre que Katell Quillévéré filme, sur le fil, entre trivialité et romanesque. Car le cœur est un organe vital autant qu’un symbole fort. Katell Quillévéré l’appréhende sous tous ses aspects et ose ce qui, a priori, pouvait paraître périlleux sur le papier : la frontalité. Il y a ainsi, dans les scènes d’opération, une vraie part documentaire que vient sublimer la photographie du film. Les artères, le sang, tout y est, face caméra ; on est pourtant loin du gore, et il y a quelque chose de proprement bouleversant dans cette vision anatomique : le spectacle du vivant dans son aspect le plus concret, le plus humble aussi.

Ce cœur si précieux est aussi un cœur amoureux, donc un cœur vibrant. Et il est beaucoup question d’amour dans ce film où chaque mot, chaque geste se doivent d’être justes lorsqu’il est question de formuler une demande ou un sentiment. Amour des parents pour leur fils défunt, d’une femme pour une autre, d’une infirmière pour son amant… Réparer les vivants met en scène des personnages dont la vie dépend de celles des autres. Chacun est ici relié à l’autre dans un grand mouvement collectif qui donne à cette histoire son relief et sa belle ampleur. Le film s’interroge : où commence la vie ? Où s’arrête-t-elle ? À travers un don d’organe et une transplantation cardiaque, c’est tout un questionnement métaphysique qui opère et qui, porté par des images justes, nous installe, ébranlés, à la frontière du trivial et du sacré.