Une affaire de famille

La pierre angulaire

À travers une vision critique et sociale le plus souvent attachée à l’enfance, Hirokazu Kore-Eda réalise une œuvre fondamentale : Une affaire de famille est un grand film épanoui, tendre et beau, sur l’innocence perdue et l’injustice, l’un des meilleurs de sa filmographie éclectique.

Palme d’or au Festival de Cannes 2018, Une affaire de famille du très prolifique Hirokazu Kore-eda est le récit d’une famille pauvre de déclassés recueillant dans la rue une petite fille de cinq ans, abandonnée et vraisemblablement battue. Elle s’acclimate progressivement à sa nouvelle vie, entourée d’une grand-mère grincheuse et dévouée, de parents improvisés aussi doux que fantasques (les personnages d’Osamue et de Nobuyo) et d’un adorable grand frère de dix ans, parfois un peu revêche avec elle mais expert en débrouille. Tous vivent ainsi au quotidien de petits larcins opérés dans les commerces du coin, essentiellement pour manger et compléter leurs maigres salaires d’exclus… Toujours très talentueux pour filmer au plus près le monde de l’enfance, Kore-eda retrouve ici la finesse de son chef-d’œuvre de 2004, Nobody Knows et une sensibilité extrême qui ne s’affadit jamais tant la réalité sociale décrite est bien examinée.

Le cinéaste reconnaît que pour Une affaire de famille il a eu envie de retourner à ses débuts afin de prolonger des réflexions qui lui tenaient à cœur depuis plus de dix ans. Il s’adonne ainsi au récit initiatique d’un jeune garçon au visage angélique et enjôleur, Jyo Kairi, qui rappelle instantanément Yûya Yagira dans Nobody Kows (à ce jour, le plus jeune prix d’interprétation masculine à Cannes). En parallèle, le thème de la filiation, celle d’un homme (Lily Franky, drôle et subtilement chancelant) qui tente d’assumer son rôle de père évoque quant à lui Tel Père, tel fils (2013). Ces deux fils rouges s’entrecroisent dès lors inlassablement dans Une affaire de famille, au gré de l’exercice récurent de la filmographie de Kore-eda à vouloir définir, telle une hantise, le sens du mot « famille », une cellule soudée ici prioritairement par ses délits.

Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda. Copyright WildBunch / Le Pacte / FUJI_TELEVISION_NETWORKGAGA_CORPORATIONAOI_Pro._Inc._All_rights_reserved

Uniques moyens de subsistance, les chapardages et la fraude sociale font l’objet d’un examen attentif, jamais empesé de discours moral. Bien au contraire, il relève d’une dénonciation aiguë sur un monde totalement inique où l’empathie du documentariste reconnu que Kore-eda a été par le passé, resurgit là encore de manière fascinante. Face aux différentes situations exposées, l’émotion affleure et les larmes des spectateurs ne sont jamais très loin, notamment lors de magnifiques séquences de réconfort et de leçons de vie avec les enfants.

En contrepoint, prenant le soin de révéler graduellement et par à-coups les ambiguïtés et les failles intimes des adultes, le cinéaste parachève son tableau faussement idyllique sur l’utopie de la famille recomposée au travers d’un dernier éclat, une colère qu’on lui connaissait peu, tranchant avec la légendaire discrétion nippone. Brillant et rassérénant, Une affaire de famille éclot comme la synthèse artistique d’un cinéaste au sommet de son art protéiforme, intimiste et puissant.