Suprêmes

À l’origine

Audrey Estrougo signe son long-métrage le plus abouti avec cette fresque énergique sur les débuts de NTM. Spectaculaire et intimité se donnent harmonieusement la main, et cette épopée humaine et sociale va révéler au grand public les épatants Théo Christine et Sandor Funtek.

Avec son cinquième film, Audrey Estrougo ose le biopic sur un groupe fondateur de la musique française contemporaine : NTM. Et plus précisément, elle opte pour les prémices du parcours intense et collectif du duo star, en se concentrant sur la période 1989-1992. Un choix temporel judicieux qui, plutôt que de balayer la biographie de ses membres d’alors jusqu’à aujourd’hui, prend le pouls d’une époque à un moment précis, pas si lointain, et pourtant déjà distant de trente ans. Rares sont les œuvres qui chantent une musique par l’intimité de ses protagonistes, et racontent par extension son contexte social et politique. Pari réussi par la cinéaste, aidée de sa scénariste Marcia Romano, de son producteur Philip Boëffard, de son équipe, et du tandem JoeyStarr / Kool Shen, qui a validé et accompagné le projet.

Copyright Gianni Giardinelli / Sony Pictures Entertainment France

La pulsation règne du début à la fin. Celle qui irrigue les veines de ces êtres de chair et d’énergie dingue tout d’abord, et que la caméra immersive suit pas à pas. Didier et Bruno, alias Joey et Kool, forment un binôme unique, explosif, et lié par un ciment commun : leur jeunesse voisine au cœur du 9-3 et des années 1980. Périlleux de les incarner, quand les gars sont toujours dans la place, et sporadiquement réunis sur scène. Le biopic comme genre est souvent cantonné aux figures disparues, et Théo Christine (Garçon chiffon de Nicolas Maury) et Sandor Funtek (K contraire de Sarah Marx) ont plongé dans le pari fou de redonner vie à leurs aînés, alors dans la vingtaine et aujourd’hui quinquas. Le résultat est emballant, par la vibration retrouvée, par la symbiose entre eux, et par la générosité de leur jeu. Un cadeau immense que leur a fait la réalisatrice, et qu’elle a su placer au centre d’un ensemble méticuleusement pensé.

Copyright Gianni Giardinelli / Sony Pictures Entertainment France

Le réalisme des situations et de recréations de concerts fonctionne puissamment, tout comme la réinterprétation des chansons par les acteurs. La recréation musicale convainc totalement, sans aucun play-back, et aidée des images d’Éric Dumont et de la supervision mélodique de Cut Killer. Celle-ci allie morceaux de NTM – et pas les mégatubes des albums postérieurs au récit -, titres de la période contée, et notes créées pour le film. Raconter par la fiction l’étape inaugurale du rap hexagonal a désormais son œuvre clé. C’est ce voyage, galvanisant, humaniste, et nerveusement lucide dans l’acuité de la mise en miroir de la France d’il y a trois décennies avec celle de 2021. Même constat quant à la considération étatique et collective d’une partie du territoire. Pas d’hagiographie ni d’alarmisme, mais un vrai point de vue, doublé d’une quête universelle : l’amour, l’attention et la reconnaissance des siens, qu’ils soient géniteurs ou sociétaux.

Olivier Pélisson