Super livres #2

Livres & cinéma

Florilège d’ouvrages très recommandables, où le cinéma est au cœur ou non loin.

 

Audrey Hepburn, une star pour tous

Très éclectique, les Éditions Capricci, outre leurs publications consacrées à des cinéastes de tous horizons (Werner Herzog, Monte Hellman, Jia Zhang-ke…), leurs traductions d’ouvrages d’entretiens (Les Maîtres d’Hollywood, Peter Bogdanovich) ou leurs traités de mise en scène (Faire un film, Sidney Lumet), offrent également une collection de portraits d’interprètes de renom, la plupart étant mythifiés (Brando, Crawford, Mitchum, Dietrich, Gabin…). Après l’excellent et très empathique Romy Schneider, les actrices se brisent si facilement de Faustine Saint-Genès, c’est à notre collaborateur Pierre Charpilloz que Capricci a confié la rédaction d’une biographie de la non moins légendaire Audrey Hepburn.
Limité à la seule évocation de la vie et de la carrière de l’actrice, l’ouvrage n’aborde donc jamais en profondeur ni le jeu si spontané ni la persona singulière de celle qui, dans les années cinquante, s’imposa comme l’antithèse de Marilyn Monroe. Seuls les grands faits qui ont contribué à forger sa personnalité de femme et à faire évoluer sa carrière artistique sont évoqués dans un strict ordre chronologique. Ainsi l’auteur narre-t-il avec une grande précision l’importance de certains événements (la séparation d’avec son père, sympathisant nazi britannique), de rencontres déterminantes (William Wyler, Hubert de Givenchy…) et de réflexions existentielles, qui entraînèrent des prises de conscience humanistes (haine à l’égard de toute forme de totalitarisme et de terrorisme, engagement auprès de l’UNICEF) et finirent par l’éloigner du milieu aliénant de Hollywood. L’ensemble se lit rapidement, grâce au style très vivant de Charpilloz, qui, çà et là, a parfois tendance à redonner vie à des comportements, pensées et sentiments d’une manière très intériorisée, comme, par exemple, le choc qu’a représenté le brusque départ de son père du foyer familial bruxellois en 1935, à la suite d’une énième dispute conjugale, alors que sa fille n’avait que six ans : « En marchant dans les rues de Londres vers l’école de danse, Audrey y pense encore. Des années qu’elle n’est pas revenue dans cette ville. La dernière fois, c’était pour lui. Depuis qu’il est parti, Audrey vit constamment avec la peur d’être abandonnée » (p.13). Une « subjectivisation » du récit, en fin de compte très opportune aujourd’hui, car la collection s’adresse, de toute évidence, plus particulièrement à un jeune lectorat enclin à la…subjectivité, qui, grâce à ce livre de la sorte très vivant, saura d’autant mieux apprécier cette « star pour tous ».

Michel Cieutat

Audrey Hepburn, une star pour tous de Pierre Charpilloz,
Nantes, Éditions Capricci, 2022.

Génération Woody

 

Le titre surprend, interroge, voire inquiète. Qu’entend l’auteur par le fait d’inclure Woody Allen dans une structure générationnelle ? Ses films ne seraient-ils plus représentatifs de notre époque ? Seraient-il définitivement enfermés dans un temps révolu et ne pourraient-ils être appréciés que par les cinéphiles purs et durs des années soixante et soixante-dix encore en vie ? Ou bien, pire encore, leur auteur ne serait-il plus perçu qu’à travers l’opprobre dont les membres du mouvement ♯MeToo l’ont couvert ?
Daniel Bougnoux, grand spécialiste d’Aragon, féru de psychanalyse et de sciences de la communication, mais aussi excellent connaisseur de Barthes et de Shakespeare, ouvre (et clôt) son ouvrage par une condamnation de cette mise à l’index de celui qui a signé ces merveilles que sont Annie Hall, Intérieurs, Manhattan, La Rose pourpre du Caire, Tout le monde dit « I Love You », Midnight in Paris ou encore Café Society. Mais demeure le problème posé par l’évolution du public des salles obscures d’aujourd’hui, par le recul de la culture générale et la focalisation de la jeunesse sur la communication égocentrique instantanée, donc « asociale », un monde aux antipodes de celui du cinéaste, empreint de nostalgie à l’égard des grands créateurs d’antan. Ce qui, effectivement, pourrait faire appartenir Woody Allen à une génération bien ancrée dans le temps et donc apparemment désuète. Ce contre quoi se dresse fermement Daniel Bougnoux, qui, en se limitant à dix-huit films (sur cinquante à ce jour) – sélection volontairement subjective, mais qui est néanmoins éminemment « allenienne » – s’efforce d’en montrer, si j’ose dire, l’éternelle modernité. Cela grâce à l’acuité du regard automoqueur que le cinéaste pose sur son ego très perturbé, sa judéité mal assumée, les relations amoureuses, complexes et insolubles, qu’il impose à ses personnages, qui, comme ceux de Molière (lui aussi accusé d’inceste), sont encore et toujours de véritables miroirs de société, sans oublier la vivacité avec laquelle Allen assure la narration de ses diverses histoires.
La lecture de ce livre est aisée de bout en bout. L’auteur décrit amplement et analyse avec précision les dix-huit films, mettant bien en relief les diverses thématiques abordées dans chacun, tout en nous informant sur les aspects propres à leur production et réalisation. L’ouvrage s’achève par un très utile rappel des caractéristiques iconographiques de l’ensemble des films de Woody Allen (phobies, autodérision, besoin des œufs (!), non-direction d’acteurs, attrait pour la magie, la musique, la psychanalyse…). On l’a compris, une approche subjective, certes, par les choix proposés, mais constamment et pertinemment ancrée dans le monde intérieur, parfois le plus intime, de cet auteur hors pair.

Michel Cieutat

Génération Woody de Daniel Bougnoux
Le Bord de l’eau éditions, Lormont (Gironde), 2022, 212 p.

Une histoire du cinéma français

À l’heure où le jeune public cinéphile de l’Hexagone est peu soucieux de tout ce qui relève des divers domaines historiques, la publication par les Éditions LettMotif d’une série de sept gros volumes (de 300 à 500 pages), consacrés à sept décennies (de 1930 à1999) de l’Histoire du cinéma français, pouvait paraître suicidaire. Il n’en est en fait rien, car, bien au contraire, grâce à des présentations courtes (pas plus de trois pages), précises et vivantes des films majeurs, recensés année par année, suivies d’un ensemble de productions mineures, traitées avec moins d’ampleur mais tout autant de rigueur, la lecture de ce travail quasi encyclopédique est très aisée, plaisante et d’une utilité certaine. Chaque chapitre couvrant une année est précédé d’un rappel des grands faits politiques et sociaux du moment, et suivi de portraits très synthétiques d’un réalisateur, d’un acteur et d’une actrice, ainsi que d’un dossier focalisé sur un phénomène propre à l’année traitée (comme, par exemple, celui sur la censure, fortement exercée tout au long des Sixties, qui fait l’objet, dans le tome 4, d’une évocation historique remontant à 1930).
L’approche générale se veut ouvertement subjective, chacun des quatre ou cinq films majeurs sélectionnés par année étant qualifié de « coup de cœur » par les auteurs. Des choix donc volontairement limités et parfois discutables (La Grande Vadrouille est considéré comme « le film de l’année » 1966, Au hasard Balthazar étant relégué dans la catégorie « Arrêts sur images », où figurent les films de qualité secondaire). Mais on se plaît toutefois à remarquer que L’Été de Marcel Hanoun, film éminemment élitaire de 1968, n’a pas été omis et fait l’objet d’une mini-notule dans la catégorie « En accéléré… », réservée au tout-venant de la décennie.
Les cinéphiles les plus âgés peuvent donc s’amuser à s’y rafraîchir la mémoire, maugréant ou acquiesçant çà et là, et les plus jeunes, quant à eux, pourront s’y forger une culture indispensable à une meilleure évaluation du cinéma français d’aujourd’hui. Signalons un index d’une très grande précision, qui permet de naviguer ponctuellement et très spontanément tout au long de ce travail de Titan.

Michel Cieutat

Une histoire du cinéma français
de Philippe Palin, Denis Zorgniotti, Ulysse Lledo, Daniel Patte…
Quatre volumes à ce jour parus : 1. 1930-1939 (préface de Jean-Pierre Jeunet) ; 2. 1940-1949 (préface de Thierry Frémaux) ; 3. 1950-1959 (préface de Patrick Brion) ; 4. 1960-1969.
Éditions LettMotiff, La Madeleine (Lille), 2021-2022.