Super livres #1

Livres & cinéma

Florilège d’ouvrages très recommandables, où le cinéma est au cœur ou non loin.

 

À partir de toi
Claude Miller, d’ici à l’au-delà

Dix ans après de De là où tu es (Stock), la romancière Claire Vassé poursuit sa conversation amoureuse avec Claude Miller dans À partir de toi (La Mer Salée). D’ici à l’au-delà, une émouvante adresse céleste.
Claude Miller est parti il y a dix ans. Il est mort d’un cancer, il avait 70 ans. De la maison du cœur de Claire Vassé, l’auteur de Mortelle Randonnée, L’Effrontée, La Classe de neige, Un secret… n’est jamais parti. Où irait-il ailleurs, d’ailleurs ? Il habite là à demeure : il est son amour, il est le père de sa fille. Il ne suffit pas de mourir pour quitter la vie des vivants. Pourquoi diable Claire Vassé aurait-elle cessé de l’aimer ? Pourquoi diable le laisserait-elle s’en aller ?
On ne refait pas sa vie, on continue de la vivre. Claire l’amoureuse vit sa vie de femme et de mère, regarde grandir leur enfant, ne cesse pas d’aimer, de désirer. Elle continue de parler à Claude Miller, parce qu’il l’entend. Elle lui écrit à haute voix. Il lui faut parler fort, bien entendu, pour se faire entendre de lui, et de nous aussi. Il a son mot à dire, de là où il est, puisqu’elle lui répond, dialogue par des liens invisibles et prête au cinéaste des mots chargés d’une réalité palpable. Elle écrit, elle envoie des signes, elle signe sa réelle présence. Elle lui parle, il nous parle, comme une voix off sur les images d’un film.
Quelques mots sur leur histoire. Un amour adultère. Un amour fautif selon les lois sociales, qu’on a le droit de trouver inamicales. Claude Miller était père de famille, il était marié, Claire Vassé était son amour secret. Ils ont eu une enfant. Leur passion ennuyait les conventions : ils ont dépassé ensemble l’impossibilité sociale, vivant comme ils l’entendaient, moins bourgeoisement que d’autres, leur histoire de la maîtresse et de l’amant, tout à leur sentiment de complétude et à leur physique du bonheur.
L’amour de Claire et de Claude et la mort de Claude ont déjà été romancés par Claire Vassé, dans deux récits personnels : De là où tu es (Stock, 2012) et Où va le chagrin quand il s’en va ? (JC Lattès, 2016). Que deviennent-ils, tous les deux ? Claire Vassé revient donner des nouvelles dans À partir de toi (La Mer Salée) : elle reprend le fil de leurs conversations interrompues. Cet amour-là, entre un homme et une femme qui ont oublié de compter leurs vingt-huit ans d’écart, est grand, beau, survivant.
De là à l’au-delà, en passant par l’entre-deux-mondes de l’un à l’autre, elle jette des ponts. C’est une traversée, ni naïve, ni mystique : Claire Vassé ramène ici-bas le royaume des morts avec lucidité. Ceux que nous avons aimés ne nous abandonnent jamais. À partir de toi change l’évidence de l’absence en présence évidente. La visible absence de Claude Miller s’est métamorphosée en invisible présence : il appartient maintenant au temps d’un présent invincible.
Claire Vassé n’ouvre pas le tombeau des souvenirs, dans leur linceul passé. Le chagrin a fait son travail, le deuil aussi, la séparation s’est installée, avec la solitude, le manque, le vide, comblés à chaque instant par l’extraordinaire vitalité de Claire, qui continue de vivre avec Claude. Elle n’a pas oublié, non, jamais, mais dépassé : pudiquement, les blessures, les regrets, les remords, les actes manqués, les actes inconsolés sont enfouis. Ce sont eux les défunts, les défaites : ils ont perdu dans l’épreuve.
Les mots de mort dans À partir de toi sont endormis : les mots d’amour y font leur lit. Ils sont vivants, vibrants. Claire Vassé vit avec l’âme de l’homme chéri, qui se tient là, toujours à son côté, et ne s’y dérobe plus. La romancière avance fièrement au bras de son beau fantôme familier. Dans ce livre, on dirait que Claire et Claude vont et viennent, bras dessus, bras dessous, enfin, c’est comme cela que l’on se les imagine, tous les deux, ensemble, tout en tendresse flexible et en gestes épanouis.
Elle dit tu, toi, nous. Un nous à protagonistes variables. À deux ou à trois. Il y a Claude, Claire, et aussi leur fille Joséphine. L’enfant va et vient au fil des pages. Autour de ce trio de personnages principaux gravitent d’autres histoires, amicales ou sentimentales, mais elles n’apparaissent jamais au premier plan.
Les conversations de Claire avec Claude ne se rangent pas dans le monde rationnel, mais elles sont naturelles et nécessaires. Claude Miller est parti, mais il existe. À partir de toi étonne, émeut, embarque. À y regarder de près, ce n’est pas un vraiment un roman : c’est une déclaration d’amour.

Jo Fishley

À partir de toi de Claire Vassé. Éditions La Mer Salée (18 euros).

Ang Lee Taïwan/Hollywood, une odyssée cinématographique
Un éclectisme très éclairé

 

Comme l’indique le titre du livre, le cinéma d’Ang Lee, depuis ses débuts, s’est partagé entre l’Orient (Garçon d’honneur, 1993 ; Salé sucré, 1994) et l’Occident (Raison et Sentiments, 1995 ; Ice Storm, 1997), traitant de genres très différents, du « Wu xia pian » (films d’arts martiaux chinois comme Tigre et Dragon, 2000) au western moderne (Le Secret de Brokeback Mountain, 2005), du film de guerre (celle de la Sécession des Confédérés aux États-Unis en 1861 dans Chevauchée avec le diable, 1999) au fantastique (Hulk, 2003), sans omettre le film d’aventures (L’Odyssée de Pi, 2012)… Des films aux scénarios très surprenants, aux réalisations de plus en plus élaborées, mais dont la « vocation de conteur visuel polymorphe » (p.27) de leur auteur déconcerte encore quelque peu le spectateur, quant à sa possibilité d’y trouver une certaine homogénéité thématique et stylistique. Ce à quoi remédie avec talent Nathalie Bittinger, spécialiste universitaire du cinéma asiatique à qui l’on doit déjà un remarqué 2046 de Wong Kar-wai chez Armand Collin en 2007 et la direction du Dictionnaire des cinémas chinois chez Hémisphères en 2019.
L’ouvrage présente quatre parties. La première est consacrée à l’affrontement de l’Orient et de l’Occident tel que le vivent les protagonistes de Pushing Hands, de Garçon d’honneur et plus modestement de Salé sucré, comme ce fut le cas dans la réalité pour le futur cinéaste, né à Taïwan, puis étudiant aux universités de l’Illinois et de New York. Un affrontement que Bittinger, experte en us et coutumes sino-américaines, analyse en profondeur, puis qu’elle met en perspective cinématographique en en soulignant la mise en scène, toujours en parfaite adéquation avec les divers comportements et situations montrés (comme le montage « ségrégationniste » dans Pushing Hands, p.39).
La seconde aborde les conséquences des premiers succès d’Ang Lee, qui lui valurent d’être invité à travailler tout d’abord en Grande-Bretagne, à la demande de l’actrice Emma Thompson, qui venait d’adapter pour le grand écran le roman de Jane Austen, Raison et Sentiments, puis aux U.S.A. pour Ice Storm et Chevauchée avec le diable. Trois genres et sujets donc très différents, tous trois adaptés de romans et ancrés dans le passé, tous trois articulés autour de conflits sentimentaux, sexuels ou idéologiques. Des scénarios impeccablement structurés et développés – les deux derniers écrits par son producteur-scénariste attitré depuis Pushing Hands et qui le demeura jusqu’à Hôtel Woodstock (2009) : James Schamus. Enfin doté de moyens financiers plus amples, Lee pouvait alors perfectionner son sens du cadrage et de la poétique visuelle (souvent sensorielle).
La troisième partie se penche sur l’attrait qu’a toujours éprouvé le cinéaste pour l’éclectisme (la comédie pour Garçon d’honneur, la science-fiction pour Gemini Man, 2019), mais aussi pour les audaces (les amours homosexuelles de deux gardiens de moutons dans le Wyoming en 1863 dans Le Secret de Brokeback Mountain et celles hétérosexuelles et politiquement traîtresses de Lust, Caution (2007) et la marginalité (l’organisation tourmentée du concert hippie à Bethel au nord de l’État de New York en 1969 dans Hôtel Woodstock). Un chapitre très informatif sur le « Wu xia pian », sur l’esthétique qui découle de la technologie employée dans Hulk, sur l’art du trouble qui sous-tend de bout en bout Lust, Caution, de même que sur la contre-culture qui secoua les États-Unis de 1964 à 1971.
L’ultime partie est articulée autour des trois derniers films de Lee, L’Odyssée de Pi, Un jour dans la vie de Billy Linn (2016) et Gemini Man, qui, tous trois, ont été réalisés au moyen d’une technique numérique très élaborée : la 3D et un tigre en pixels pour le premier, la résolution 4K pour signifier au mieux le « déphasage existentiel » (p.214) d’un jeune soldat de retour du conflit irakien dans le second, la cadence accrue des images de 24 à 120 par seconde et la création d’un clone numérique de Will Smith pour le troisième. Cela dans l’attente de son prochain opus, annoncé en 2022, Thrilla in Manilla, consacré à la troisième confrontation pugilistique entre Mohamed Ali et Joe Frazier en 1975. Un parcours très complet, agréablement rédigé, fourmillant d’informations de toutes sortes, aussi bien d’ordre biographique que sur les conditions de production et de tournage de tous les films. Un seul petit bémol : l’absence d’une filmographie détaillée en fin d’ouvrage.

Michel Cieutat

Ang Lee Taïwan/Hollywood, une odyssée cinématographique de Nathalie Bittinger
Paris, Hémisphères Éditions, 2021, 266 p.

Le Foot à l’écran
Pour le bonheur des cinéphiles footeux et inversement

Déjà auteurs d’un remarquable et fort complet ouvrage mariant Sport & Cinéma (Éditions du Bailli de Suffren, Nice, 2016, 460 p.), Camy fils et père se consacrent, cette fois, à la représentation du seul football à l’écran. Le livre ne fait pas que reprendre le chapitre propre à ce sport dans la première publication, mais relate chronologiquement et plus amplement l’histoire, de décennie en décennie, de la production de films impliquant le monde du ballon rond. Richement et ludiquement illustré, Le Foot à l’écran fait se succéder informations historiques, anecdotes, recensements exhaustifs de films (importants et nanars) du monde entier (Whistle, film bollywoodien de 2019, a droit à son entrée), thématiques particulières (le foot au féminin, arbitres, entraîneurs, hooligans, homophobie, racisme…), stars (Pelé, Maradona, Zidane…) et même des jeux sous forme de questions-réponses, dont l’un porte sur les films de Jean-Luc Godard ! Le tout se lit à un rythme d’enfer, digne de celui de Lionel Messi, et nous surprend régulièrement au moyen de références inattendues (les animaux, dont un crabe japonais, occupent les pelouses) et engagées (« L’Iran, le foot et les femmes »). Un beau cadeau pour deux publics soi-disant inconciliables.

M.C.

Le Foot à l’écran
de Julien Camy et Gérard Camy
Paris, Hugo Image, 2021, 222 p..

Belmondo, le livre Toc, Toc, Badaboum !
Hommage tempéré

 

Avec un tel titre, accompagné de précisions du genre « Films cultes/Cascades de la mort/ Secrets de tournage », on s’attend au pire ou presque. En fait non, car cette publication, qui vise de toute évidence le grand public cinéphage, admirateur inconditionnel de « Bébel », présente la carrière de l’acteur avec un sens critique très affiné et des plus pondérés ! En effet, contrairement aux jugements trop catégoriques de certaines revues, sévèrement hostiles (Cahiers du cinéma) ou trop dithyrambiques (Positif), celui de Guillaume Evin, déjà auteur de livres consacrés à Steve McQueen, Alain Delon et James Bond, est beaucoup plus nuancé, rappelant très objectivement que la grande carrière de Jean-Paul Belmondo commence en 1960 avec À bout de souffle de Jean-Luc Godard et s’arrête en 1974 après l’échec commercial du Stavisky… d’Alain Resnais. Par la suite, celle de « Bébel », de 1975 à 2009, s’est malheureusement limitée à satisfaire le public d’un comédien-producteur à la fois soucieux de rentabilité économique et enclin à se laisser aller à ses penchants naturels, ceux de son enfance, qui l’amenèrent donc à pratiquer d’impressionnantes cascades et à faire le clown en toutes circonstances. Une seconde partie où ne brille qu’une seule pépite, celle signée en 1988 par Claude Lelouch, Itinéraire d’un enfant gâté. Une évocation donc fort honnête, de bout en bout abondamment illustrée de photos de tournage et de films, d’affiches originales et systématiquement ponctuée de textes critiques, pertinemment accompagnés de vignettes relatives à l’époque de la sortie des films, d’informations parfois surprenantes (Steven Spielberg et Robert F. Kennedy étaient fans de L’Homme de Rio), de portraits de ses partenaires préférés (Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Charles Gérard…) ou rivaux, mais néanmoins amis (Delon). Sun ouvrage qui vise de la sorte aussi bien les « bébelistes » que les amateurs des grands crus de l’interprète, Léon Morin, prêtre (Jean-Pierre Melville, 1961) ou Pierrot le fou (Godard, 1965).

M.C.

Belmondo, le livre Toc, Toc, Badaboum !
De Guillaume Evin, Paris, Hugo Image, 2021, 222 p..

Christopher Nolan, la possibilité d’un monde
Une étude d’orfèvre

Déjà publié en 2018 et maintenant mis à jour (la nouvelle édition inclut donc Tenet, 2020), Christopher Nolan, la possibilité d’un monde demeure le premier livre en langue française consacré au réalisateur d’Insomnia (2002) et d’Interstellar (2014). Un second, signé Guillaume Labrude, L’Œil de Christopher Nolan, est annoncé pour le 3 mars 2022. Timothée Gérardin, déjà auteur de l’excellent Cinémiracles, l’émerveillement religieux au cinéma (2020) chez le même éditeur, fait ici, comme précédemment, preuve d’un sens aigu de la pertinence analytique. En effet, après avoir rapidement et précisément ancré Nolan dans son contexte familial anglo-américain et dans son parcours initiatique de cinéaste amateur, Gérardin approche son œuvre, qui amalgame le blockbuster (Batman Returns, 2005) et le film expérimental (Memento, 2000), d’une manière très approfondie, passant au crible son art non seulement de multiplier les points de vue (Dunkerque, 2017), mais aussi de les altérer (Memento). Il examine avec la même acuité ses trois conceptions du montage, l’immersif (qui « permet d’associer, par simple opposition, la situation présente à des images tirées d’autres contextes », p.36), l’explicatif (montage alterné de séquences) ou plus simplement chronologique. Il se penche également sur le rôle crucial et souvent ambivalent joué par les objets associés aux personnages (comme ceux d’Inception, 2010). Ce qui le conduit à mettre en relief les divers mondes, oniriques ou technologiques, qui perturbent constamment le quotidien de ses impressionnants protagonistes, ceux d’Insomnia comme ceux d’Interstellar.
Une approche très dense, très complexe, mais qui se lit aisément, car excluant tout jargon, et qui s’achève modestement par de l’humain (« Les soucis de la communication »), rien que de l’humain (« L’amour comme fil d’Ariane »). Une approche corroborée par le monologue des plus lucides de Leonard (Guy Pearce) à la fin de Memento, que l’auteur cite en conclusion de son épilogue : « Il faut que je croie qu’il y a un monde en dehors de mon esprit. Il faut que je croie que mes actes ont encore un sens même si je les oublie. Je dois croire que lorsque je ferme les yeux, le monde est toujours là (..) On a toujours besoin de souvenirs pour savoir qui on est, je ne suis pas différent des autres. Bon, où en étais-je ? ». Un cinéma certes singulièrement déroutant, mais aussi simple miroir de la sempiternelle condition humaine.

M.C.

Christopher Nolan, la possibilité d’un monde
de Thimothée Gérardin
Levallois-Perret, Playlist Society, 2021, 122 p..

Cinémiracles, l’émerveillement religieux à l’écran
Des prodiges par milliers

Un ouvrage qu’auraient beaucoup apprécié les grands spécialistes francophones de l’approche spirituelle du cinéma dans les années cinquante et soixante, comme André Bazin, Henri Agel, Amédée Ayfre ou Michel Estève. Timothée Gérardin se penche, quant à lui, sur la représentation des miracles et des divers phénomènes apparentés dans les films, depuis les origines (La Tentation de saint Antoine, 1898, et Le Christ marchant sur les flots de Georges Méliès, 1899) jusqu’à aujourd’hui (L’Apparition, Xavier Giannoli, 2018 ; la série Messiah, Michael Petroni, 2020). Après avoir défini précisément tous les concepts fondamentaux : miracles, mystères, émerveillements…, l’auteur aborde d’emblée les films qui se sont imposés dans l’imaginaire occidental, soit par leur réalisation spectaculaire (Les Dix Commandements, Cecil B. De Mille, 1923 et 1955), soit par leur puissance spirituelle (Ordet, Carl Theodor Dreiser, 1956). Puis, c’est aux « signes de la nature divine du Christ » (p.43) qu’il se consacre dans les films qui ont été directement consacrés au père de la chrétienté, comme Le Roi des rois (De Mille, 1927; Nicholas Ray, 1961), La Plus Grande Histoire jamais contée (George Stevens, 1965), L’Évangile selon saint Matthieu (Pier Paolo Pasolini, 1964), Jésus de Nazareth (Franco Zeffirelli, 1977, TV) ou La Dernière Tentation du Christ (Martin Scorsese, 1988), ainsi que dans la version symbolique modernisée de Denys Arcand, Jésus de Montréal (1989). Des films où les miracles sont directement visualisés ou bien seulement suggérés, voire signifiés de manière souvent singulière. Gérardin n’omet pas d’aborder aussitôt après « l’œuvre du diable », considérée comme « la part de Dieu » (p.51), puisque Celui-ci n’a pas hésité à imposer la présence du Tentateur à son fils, présence que Nikos Kazantzákis, Paul Schrader et Martin Scorsese ont traitée avec insistance dans La Dernière Tentation (du Christ). Puis, dans la foulée de cette considération maléfique, l’auteur n’hésite pas non plus à traiter du crime comme « miracle inversé » (p.56), tel que nous le prouvent Rashõmon (Akira Kurosawa, 1950), La Source (Ingmar Bergman, 1960) et surtout Sous le soleil de Satan (Maurice Pialat, 1987) ou, encore plus profondément, à travers le phénomène de la possession, qui n’a cessé d’être représenté depuis Jour de colère de Dreyer (1943), comme dans L’Exorciste (William Friedkin, 1973) ou Possession (Andrzej Zulawski, 1981).
L’ouvrage ne se limite pas à l’évocation de ces caractéristiques ou comportements paranormaux, directement issus des écritures bibliques, mais inclut également les différentes manières dont les cinéastes ont visualisé les apparitions de plusieurs saints, comme celles de sainte Catherine d’Alexandrie ou de l’archange saint Michel aux yeux de Jeanne d’Arc dans les films de Georges Méliès (Jeanne d’Arc, 1900) ou de Bruno Dumont (Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, 2017). Mais, comme pour Jésus, Timothée Gérardin impose alors un contrechamp dénonciateur avec l’évocation des films démystificateurs d’un Jean-Pierre Mocky (Le Miraculé, 1987) ou d’un Yves Robert via Marcel Aymé (Clérambard, 1969). Regards antagonistes qui conduisent logiquement l’auteur, en toute honnêteté analytique, à mentionner les films qui valorisent le doute, comme Nazarin de Luis Buñuel (1959), Les Communiants de Bergman (1963) ou encore La messe est finie de Nanni Moretti (1985). Et, soucieux d’être le plus exhaustif possible, il rassemble ensuite aussi bien les films qui traitent de miracles quasi surréalistes comme Théorème (Pasolini, 1968) ou tout simplement des plus ordinaires comme La vie est belle de Frank Capra (1946), de même que ceux qui mettent en scène un deus ex machina cinématographique, telle l’intervention divine invisible de Bad Lieutenant (Abel Ferrara, 1992), l’apparition « entre songe et réalité (p.135) propre à Ponette (Jacques Doillon, 1996) ou du pur hasard qui sous-tend plusieurs films de Krzysztof Kieślowski, dont, bien sûr, Le Hasard en 1987. On ne saurait être plus complet sur le sujet et plus interrogateur envers le lecteur.

M.C.

Timothée Gérardin, Cinémiracles, l’émerveillement religieux à l’écran
Levallois-Perret, Playlist Society, 2020, 164 p..