Révélé au monde avec son deuxième film, Moonlight, Barry Jenkins adapte cette fois James Baldwin. La chronique d’un amour qui surmonte toutes les embûches. Sans complaisance, sans star, et avec une délicatesse perçante.
Ce qui frappe dans la mise en scène de Barry Jenkins, c’est le soin apporté au temps. Le temps de la séquence. Le temps de l’échange. Le temps de l’enjeu. Tout va majoritairement vers le zapping en 2019, et le cinéma reflète sa contemporanéité par la vitesse de l’exécution, ou par son opposé, la contemplation. Jenkins est ailleurs. Dans le temps donné au temps. Chaque moment de son cinéma, et particulièrement de son troisième long-métrage, est une parcelle de vécu qui laisse la place au ressenti de chaque mot, de chaque regard, de chaque force en jeu. L’intensité dramatique n’en est que plus forte. Tout ce qui est filmé reste crucial. Ici, l’amour absolu qui lie les deux jeunes héros de cette adaptation du roman éponyme de James Baldwin, paru en 1974.
L’auteur, essentiel (1924-1987), n’a été que très rarement transposé à l’écran. C’est notre Robert Guédiguian national qui a tiré du même roman un film, il y a vingt ans, À la place du cœur, revu et corrigé avec un couple mixte en zone marseillaise. Raoul Peck a remis l’artiste à l’honneur il y a un an, avec son épatant documentaire I Am Not Your Negro. Jenkins le célèbre en fiction, en captant cette chronique des années 1970 dans son contexte de l’époque, en plein Harlem. La discrimination raciale règne, mais la pulsion de vie tient bon la barre, grâce aux femmes, l’héroïne Tish, et sa mère Sharon, auxquelles Kiki Layne apporte sa gracile détermination, et Regina King sa puissante bienveillance. Un cocktail qui définit aussi la vision du cinéaste, qui traite son sujet de front, avec les mots perçants de Baldwin, et en les accompagnant d’une délicatesse infinie.
Ce qui pourrait s’avérer fade ou niais, filmé par d’autres, brille ici par la finesse. Celle d’un témoignage qui désosse sans scalper l’émotion, de la profondeur de l’image à la précision du son. Auréolé de son succès et de ses trois Oscar majeurs pour Moonlight, le réalisateur a tenu bon en mettant en scène ce scénario écrit conjointement avec le précédent, et en choisissant de jeunes interprètes au diapason des personnages, en train d’éclore. Belle idée aussi de faire apparaître dans des participations secondaires, mais nourries d’humanité, des visages venus d’ailleurs, Dave Franco, Diego Luna ou Pedro Pascal. Sans esbroufe ni spectaculaire, Si Beale Street pouvait parler touche au cœur, et nourrit l’esprit d’une invincible douceur progressiste. Plus que jamais pertinent.