Pearl

Ceci est son corps

Une championne de bodybuilding renoue avec le sentiment maternel et son essence profonde quand le jeune fils qu’elle a abandonné réapparaît. Dans Pearl, remarquable premier long-métrage d’Elsa Amiel.

Les premières images de Pearl sont de très gros plans d’un corps au travail. Perles de sueur, peau tannée, muscles saillants, ossature épaisse, souffle animal. Voici Léa Pearl. Cette jeune bodybuildeuse, qui concourt pour le titre de Miss Heaven, et qu’incarne la très émouvante Julia Föry, authentique athlète, a une apparence hors norme. À mi-chemin entre la masculinité et la féminité, l’être humain et le super-héros, il y a quelque chose de monstrueux dans sa silhouette aux contours difformes.

Monstre vient du latin monstrare, qui signifie montrer. Sa fonction, son identité sont liées au regard porté sur lui. Ainsi Léa consacre-t-elle sa vie, sous la coupe d’un entraîneur acharné (qu’interprète dans un mélange de rudesse et de tendresse le formidable Peter Mullan), à exposer son corps au yeux des juges, lors de compétitions internationales qui regroupent d’autres êtres à l’allure surhumaine. Jusqu’au jour où débarquent, dans l’hôtel où elle se prépare avant le show, son ex-mari et son fils qu’elle n’a pas vu depuis quatre ans.

De ces retrouvailles contraintes surgiront des sentiments, des sensations, qui mèneront progressivement Léa vers une reconnexion à elle-même. Et Elsa Amiel, ancienne première assistante à la mise en scène (chez Noémie Lvovsky, Emmanuel Finkiel ou Mathieu Amalric, notamment), épaulée par Laurent Larivière à l’écriture de son scénario, filme cette trajectoire émotionnelle en la dépouillant de tout psychologisme. Pearl est un film qui croit ferme dans les pouvoirs du cinéma à faire naître des personnages et rendre leur présence presque palpable. La mise en scène, organique et sensuelle, par ses mouvements fluides et maîtrisés, ses couleurs chaudes, fait le pari de placer le corps au centre de son dispositif et d’en faire jaillir des questions essentielles. Qu’est-ce que la féminité ? Qu’est-ce que la normalité ? Qu’est-ce qu’exister dans le regard d’autrui ?

L'épatant Vidal Arzoni dans le rôle du fils de Léa. Dans Pearl d'Elsa Amiel.

« Tu te rapproches des dieux », dit Al, l’entraîneur, à Léa, sa « créature ». Elsa Amiel fait confiance à l’imagination du spectateur pour deviner le passé et les motivations de Léa. Son écriture livre peu d’informations, va à l’essentiel et confère à ce personnage la dimension d’une héroïne de tragédie antique. Il y a quelque chose de fascinant et d’effrayant chez elle et chez ses pairs (à cet égard, Agata Buzek incarne avec brio une bodybuildeuse catégorie « Bikini » aussi étrange qu’émouvante). Et lorsque surgit l’enfant (joué par l’épatant Vidal Arzoni) au beau milieu de ce petit monde aux faux airs de foires aux freaks d’antan, un enjeu émotionnel de grande ampleur se met en place. Qu’elle est belle, cette séquence où Léa le prend contre elle et se remémore sa naissance : son poids, lui dit-elle, était si léger… À cet instant précis où l’instinct maternel refait surface, la simplicité avec laquelle cette femme de peu de mots lui exprime son amour enfoui est bouleversante.

Tout dans Pearl, y compris les décors étudiés et signifiants, ou le travail raffiné sur le son, témoigne d’un monde qui tente d’échapper au réel. Par la puissance de sa mise en scène, qui évoque parfois certains films américains, comme ceux de Nicolas Winding Refn (avec plus de sensibilité), Elsa Amiel parvient à raconter son histoire avec puissance et délicatesse combinées. Voici un premier long-métrage (réalisé après deux courts, Faccia d’Angelo et Ailleurs seulement) d’une maîtrise sidérante, et d’une force émotionnelle intense. Pearl scintille dès son générique et brille jusqu’au bout.