Scénaristes français, comment ça va ?

Bilan autour de la parution du livre Scénaristes de cinéma : un autoportrait

« Quels scénaristes français pouvez-vous citer ? ». Question simple, réponse périlleuse. Combien de personnes non spécialistes du cinéma pourraient répondre ? Combien de noms émergeraient ? Lesquels ? D’hier ? D’aujourd’hui ? Jacques Prévert ? Michel Audiard ? Jean-Claude Carrière ? Jean-Loup Dabadie ? Danièle Thompson ? Des noms plutôt illustres, pas forcément dans l’actualité, et peu liés aux jeunes générations. Et même parmi les journalistes et critiques, combien pourraient citer plus de dix scénaristes exerçant aujourd’hui en France ?

Un flou généralisé, qui reflète le flou qui peut entourer cette profession, même quand on est proche du milieu du cinéma. Certes, les scénaristes sont crédités au générique des films. Certes, des scénaristes sont récompensé(e)s dans certains festivals, et d’autres sont nommé(e)s dans les rangs des récompenses annuelles. En France, les César proposent deux catégories distinctes (ça n’a pas toujours été le cas) : meilleur scénario original et meilleure adaptation. Mais pour la considération au long cours et à part entière, dans les médias, les articles, les critiques, et dans les cercles professionnels, c’est une autre paire de manches. Sans parler du statut social et artistique, et de la rémunération, comparé aux autres métiers liés à la création et à la fabrication des films. D’où la nécessité de donner de la voix, qui a poussé des écrivains de cinéma au rassemblement. Après la Guilde française des scénaristes, syndicat né en 2010, un second mouvement a vu le jour.

Fondée en février 2017, l’association française Scénaristes de Cinéma Associés, dite SCA, regroupe au dernier comptage cent-quatorze membres. Parmi les adhérents, on trouve des scénaristes à part entière, dont Anne-Louise Trividic, Agnès de Sacy, Gaëlle Macé, Raphaëlle Desplechin, Olivier Gorce, Guillaume Laurant ou Gilles Taurand. On trouve également des auteurs réalisateurs pour eux-mêmes, et aussi des auteurs réalisateurs pour eux-mêmes et auteurs pour d’autres. Citons Sophie Fillières, Hélène Angel, Laurence Ferreira-Barbosa, Valérie Minetto, Myriam Aziza, Jean-Luc Gaget, Michel Spinosa, Jacques Maillot, Laurent Larivière ou Pascal Bonitzer. Des connus, des moins connus, des inconnus, mais tous représentatifs du champ des scénaristes, toutes générations et tous horizons confondus.

Les 114 adhérents du moment regroupent 68 femmes et 46 hommes. Une profession qui semble donc plus largement féminine. En élément de comparaison, depuis 1990, l’école de cinéma parisienne la Fémis totalise dans sa section scénario 170 inscrits, à savoir 98 filles et 72 garçons, soit respectivement 58 % et 42 %, avec une répartition variable suivant les années. Sur les 29 promotions passées, de 1990 à 2018 comprises, 15 ont rassemblé plus de filles, 6 plus d’hommes, et 8 ont joué l’égalité.

C’est en mars 2019 qu’est paru l’ouvrage Scénaristes de cinéma : un autoportrait, conjointement à l’organisation par le SCA des premières Journées du Scénario, qui se sont déroulées au CNC les 11 et 12 avril. Ces dernières ont connu une forte mobilisation, en attendant la fructification des attentes et des négociations en cours. La page vimeo du SCA propose des captations vidéo des rencontres (voir en bas d’article). Les 235 pages du livre, état des lieux de la profession né des réponses à un questionnaire collectif, plongent le lecteur dans les problématiques concrètes d’un métier idéalisé, mais aux conditions de travail pas si idéales.

 

Pour en savoir plus, nous avons rencontré Cyril Brody, l’un des quatorze membres du SCA contributeurs du livre. Co-vice-président de l’association, il est auteur et réalisateur des courts-métrages Le Souci (1999) et Mar vivo (2011), ainsi que du moyen-métrage documentaire En service (2007). Il est aussi le coscénariste d’Olivier Peyon, avec qui il a notamment écrit le long-métrage de fiction Les Petites Vacances (2006), réalisé par ce dernier, et le documentaire Latifa, le cœur au combat (2017), qu’ils ont coréalisé. Leur nouveau scénario de fiction signé à quatre mains, Tokyo Shaking, sera tourné par Olivier Peyon au Japon l’hiver prochain.

 

 

Comment est né ce livre ?

De l’envie de faire connaître les difficultés et les spécificités d’un travail. De ne pas attendre que quelqu’un d’autre en parle à notre place. De faire entendre une parole collective de scénaristes, répondant de manière très large à toutes les questions qui concernent notre métier. Le questionnaire envoyé aux scénaristes, qui est à la base du livre, a demandé du temps. Je l’ai moi-même rempli avant d’adhérer ensuite au SCA. Le travail d’analyse et de rédaction s’est fait l’année suivante avec les autres, en se répartissant les chapitres. Plus les questionnaires arrivaient, plus j’avais conscience que chacun(e) dans son coin avait des expériences qu’il ou elle pensait spécifiques ou personnelles, alors qu’elles étaient souvent partagées. Des expériences souvent compliquées, des rapports avec les producteurs pas toujours simples, avec la complexité de la réécriture notamment, qui est inhérente à l’écriture de scénario. On se rendait compte aussi que de nombreux sujets étaient peu connus, et qu’il fallait les raconter de l’intérieur, puisque raconter est justement notre métier. Au début, ça devait être un rapport. Le hasard nous a mis en connexion avec les Éditions Anne Carrière, qui nous ont dit : « Ça nous intéresse ». C’est donc devenu un livre.

Ce rapport est-il lié à la naissance de l’association ?

Le SCA a été créé en février 2017. Le questionnaire a été élaboré l’été suivant. Il a été envoyé assez largement, pas seulement aux adhérents ou aux scénaristes connus personnellement par l’association, de tous âges et de toutes expériences. Au final, on a reçu 67 réponses. Je pense que la proportion d’adhérents et de non-adhérents est de l’ordre de 50/50, surtout qu’il y avait à l’époque beaucoup moins de membres qu’aujourd’hui, 114 en septembre 2019.

La publication du livre a dû contribuer aux adhésions…

Bien sûr, ça crée une notoriété, il y a eu un article de deux pages dans Télérama, et la sortie du livre avait été calée avec les Journées du Scénario qu’on a organisées au CNC, et qui ont été une sorte d’élan supplémentaire. Le livre a forcément reçu un accueil médiatique beaucoup plus important que si ça avait été un simple rapport ou un livre blanc de plus. Depuis, il y a aussi beaucoup de nouvelles adhésions, de jeunes, qui sortent de formation, de la Fémis, etc. On a une majorité d’adhérents qui n’avaient jamais été syndiqués ou membres d’une association professionnelle avant, moi le premier. Les scénaristes fondateurs du SCA ont ressenti le besoin d’exprimer leurs revendications dans une structure consacrée uniquement au cinéma, quand d’autres syndicats ou associations les mélangent à la télévision. Certaines problématiques nous sont en effet spécifiques, même si parmi nous certains travaillent aussi à la télévision, ou sont réalisateurs, écrivains, etc.

Plusieurs mois ont passé depuis la parution. Un impact se fait-il déjà ressentir ?

Oui. Les Journées du Scénario organisées par le SCA ont permis de mettre en avant les différents sujets. Sept tables rondes ont repris chacune un chapitre du livre. La question du statut social, de la reconnaissance, du travail avec les producteurs, des commissions, de l’indexation, etc. C’était au CNC, ce qui a permis d’avoir une vraie couverture médiatique et de se rencontrer. De nombreux professionnels participaient aux tables rondes, devant des salles pleines. Cela a aussi permis de poser le fait qu’il allait falloir négocier. Le principe du SCA est de travailler les uns avec les autres, et pas du tout dans son coin ou en adversaires. Il y a des interactions entre la SRF (Société des Réalisateurs de Films), le SPI (Syndicat des Producteurs Indépendants), l’UPC (Union des Producteurs de Cinéma)… et le SCA, qui font partie du BLOC (Bureau de Liaison des Organisations du Cinéma), qui réunit les organisations représentant le cinéma indépendant. Cela nous permet de participer et d’alimenter la réflexion sur tous les sujets de la filière. Cette année, l’écriture fait partie des questions soulevées. Notre revendication centrale est que la rémunération des scénaristes soit encadrée avec un minima incompressible et une indexation sur le coût du film. Car, aussi fou que cela puisse paraître, rien n’est réglementé en ce domaine !

La fameuse dichotomie surévaluation du scénario / sous-évaluation du scénariste ?

Exactement. Il n’y a pas de financement sans scénario, mais un scénariste peut très bien ne pas être payé pour son travail. Pour le dire différemment, nous sommes payés pour avoir écrit, de moins en moins pour écrire. Une grande partie de notre rémunération est conditionnée à la mise en production. Un minima permettra d’être payé quand on écrit, et d’écrire de meilleurs films. L’indexation permettra de trouver un équilibre, si et quand le film se finance. Après un travail de fond de plusieurs années, ce dossier, voté et porté aujourd’hui avec force par le SCA, est actuellement en discussion. Nous espérons trouver un accord d’ici à la fin de l’année.

Les témoignages du livre rappellent que certains scénarios aboutissent à des films tournés, d’autres non.

Oui. Mais on ne peut pas être les seuls à assumer la non-réalisation du film. Même s’il y a de plus en plus de films, et qu’on travaille sur plusieurs projets en même temps, malgré tout, le risque et l’aléatoire sont toujours très présents. Il y a plusieurs écoles dans l’appréhension du travail de scénariste. Il y a souvent cette idée qu’on œuvre pour un film, une vision, un réalisateur, sur un scénario encore partiel, auquel il manque quelque chose. La question de l’écriture et de la réécriture est problématique. En découle malheureusement souvent l’idée qu’il faut arriver à un scénario parfait, extrêmement abouti… or on ne sait pas ce que c’est ! Pour certains projets, le scénario s’écrit en six mois, pour d’autres ça prendra trois ans. De toute façon, le scénario abouti est celui qui peut être tourné ! Parce que c’est aussi une histoire de conjonction, et de qui finance le film. Parfois, des scénarios très médiocres sont tournés très vite, et d’autres, brillants, mettent des années à se faire, voire jamais, parce que c’est plus compliqué, sans alignement des planètes. Faire reposer la qualité d’un scénario sur le temps d’écriture qui est donné n’est pas nécessairement une donnée fiable. Cela dépend du projet, du réalisateur, de la manière dont il va être accompagné dans le travail. Le scénario est un objet en devenir, qui aura toujours quelque chose d’absent, de manquant, que le film va ensuite compléter et prolonger.

On est habitué en France au scénario écrit par celui ou celle qui filme, alors que les cinéastes peuvent filmer des scénarios écrits par d’autres.

Il y a une histoire liée en France à la Nouvelle Vague, et à l’avènement du réalisateur comme auteur, qui a évidemment amené plein de choses extrêmement positives, mais pas que. Jusque-là, les scénaristes qui existaient aux yeux du public étaient les auteurs de bons mots faisant bien rire, surtout par le dialogue. C’est le cas de Michel Audiard, ou plus tard de Jean-Loup Dabadie, qui sont vraiment des scénaristes du dialogue et des personnages. Certains réalisateurs écrivent seuls et sont des auteurs brillants. Certains scénaristes sont uniquement scénaristes et sont très actifs, mais on les identifie souvent moins. On sent, par exemple, une difficulté à cerner la patte d’un scénariste de film à film. C’est assez paradoxal parce que, finalement, c’est comme un chef-op’ ou un monteur. Si on est un peu attentif au générique, c’est intéressant de se dire : « Et si je regardais de près le travail d’Agnès de Sacy ou Cécile Vargaftig, via trois quatre cinq films qu’elles ont écrits ? ». Peut-être qu’on finirait par déceler quelque chose de spécifique. C’est un peu aléatoire, il n’est pas dit que ce soit si simple que ça, mais c’est un enjeu. C’est aussi parfois dans votre communication, faire que les journalistes prennent le temps de mettre en avant les scénaristes. Ça commence à se faire, mais il y a des endroits où ça manque cruellement. La présence dans les festivals peut aussi être une bonne façon de faire connaître notre travail. Il y a le Festival international des scénaristes de Valence, certains autres centrés sur le scénario. Unifrance pourrait être un peu plus en tête de pont sur la représentation des scénaristes à l’étranger, notamment…

Dans les témoignages du livre, il y a ceux qui revendiquent une plus grande visibilité, et ceux qui préfèrent rester dans l’ombre…

Certains sont contents d’être encore un peu à l’ombre ou s’en accommodent. Mais c’est toujours mieux quand on cite les noms des auteurs, parce qu’un travail a été fait et que cette visibilité-là peut aider les scénaristes à travailler plus aussi. La connaissance du travail amène le travail. Au SCA, il y a des gens comme Mariette Désert ou Maud Ameline, qui commencent à avoir derrière elles un vrai beau parcours. Le magazine Bref a fait cinq pages sur Mariette (parmi cinq jeunes scénaristes femmes dans le numéro 124, ndlr). C’est là qu’on se rend compte que des personnes fédèrent un certain nombre de cinéastes, et que peut-être émergent un regard, une vision, une façon de parler du monde, qui amènent quelque chose à l’œuvre ou à l’univers du réalisateur. À l’inverse, il y a une anecdote qui est souvent citée. Je crois que ce sont les auteurs de Belle et Sébastien (Juliette Sales et Fabien Suarez, ndlr) qui ont raconté que le Festival de Rome, parce que le réalisateur et les comédiens ne pouvaient pas s’y rendre, a voulu inviter le chien plutôt que les scénaristes. Inviter le chien pour venir parler du film, c’est assez paradoxal !