Santiago, Italia

Mémoire de l’hospitalité

Nanni Moretti exhume de l’histoire italienne et chilienne le souvenir méconnu de l’asile politique accordé, à l’ambassade d’Italie, à plusieurs centaines d’opposants au général Pinochet, persécutés après son coup d’État militaire en 1973. Un documentaire aussi sobre que saisissant.

On a beau connaître cette tragique histoire, on ne se remet jamais de cette terreur. Nanni Moretti commence Santiago, Italia, par le récit contextuel. Il prend son temps pour le rappel des faits connus : le renversement du président démocratiquement élu Salvator Allende, en septembre 1973, ses derniers mots à la radio, son suicide au moment du siège du palais de la Moneda, et le coup d’État réussi, dirigé par le général Pinochet. Sitôt après, l’état d’urgence, le couvre-feu, la répression violente, les arrestations en masse, le stade national et le stade Chili transformés en prison, les communistes, les socialistes, les partisans du Mouvement de la gauche révolutionnaire et les opposants au régime arrêtés, torturés, exécutés. Des morts et des disparus par milliers.

Dans ce moment terrifiant de l’histoire contemporaine du Chili, plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été sauvés de l’horreur. Leur terre d’asile, l’ambassade d’Italie, leur offrant l’hospitalité, malgré la surveillance et la pression de la police et des militaires au pouvoir. Des archives de cet épisode méconnu, Nanni Moretti extrait des clichés en noir et blanc, montrant les bâtiments et les jardins de l’ambassade peuplés de ces Chiliens miraculeusement sauvés, réfugiés, en attendant leur exil en Italie, et une autre vie, libre. Oui, en ce temps-là, l’Italie pouvait ouvrir ses bras aux migrants, offrir l’asile politique sans question aux victimes des régimes meurtriers et des dictatures. Ce n’est, hélas, plus son présent, dans l’Italie populiste de Matteo Salvini. Voilà la charge que l’on pourra retenir, en transparence, de cette mémoire de 1973, leçon pour le temps présent.

Davantage encore que ces images, ce sont les récits qui saisissent. Face caméra, les témoignages poignants, terribles, de ceux qui ont été là, en 1973, persécutés, partagés entre la peur qui les avait saisis en même temps que l’espoir que leur avait donné l’Italie, hospitalière, accueillante et bienveillante. Ils n’ont jamais oublié, comment le pourraient-ils ? Ils pleurent encore.

Nanni Moretti a retrouvé aussi un de leur bourreau. Un militaire chilien, emprisonné, condamné, mais qui jure de son innocence. Les tortionnaires reconnaissent rarement qu’ils ont les mains tachées de sang. Au cinéaste, qui entre dans le champ de la caméra, l’ancien putschiste demande avec aplomb s’il est impartial. Bien sûr que non, Nanni Moretti n’est pas impartial : c’est un fier militant de l’humanité, empathique et compassionnel.