Première Campagne

La politique et son image

Pour sa première campagne en tant que journaliste politique « de terrain », la jeune reporter de France 2, Astrid Mezmorian, suit le candidat Emmanuel Macron, dont c’est aussi la « première campagne ». Par le prisme du cinéma direct, la réalisatrice Audrey Gordon livre un portrait salutaire du travail de journalisme, doublé d’une analyse fine des nouveaux enjeux de la vie politique.

C’est le printemps 2017. La campagne pour l’élection présidentielle française bat son plein, et un jeune homme caracole dans les sondages. Il s’appelle Emmanuel Macron, il a un projet et une histoire à raconter. Quelques mois déjà que le visage de ce jeune candidat imprègne les postes de télévision. Il y a, bien sûr, les émissions politiques et les grands débats, rendez-vous immanquables du suspense médiatique. Mais les hommes et les femmes élus le savent : la politique ne se vit pas que sur les plateaux immaculés des studios de télévision. Un homme politique en puissance doit être un homme de terrain (on dit bien « faire campagne »), il doit être toujours en mouvement, « en marche ». Plus encore que dans ses idées, c’est à travers le déplacement dans lequel elles s’expriment que sera jugé un candidat. L’avènement de la télévision et la multiplication des images, et avec elles la représentation médiatique et visuelle de la politique, ont complété la providence de l’ « homme fort » par la nécessaire photogénie d’un candidat charismatique et dynamique. La vie d’Astrid Mezmorian, sur les quelques mois de campagne, est rythmée par l’adrénaline constante de ces déplacements permanents. Telle une reporter de guerre, elle est toujours en alerte, sur le qui-vive, car tout peut arriver et une journée de campagne suit rarement à la lettre le sage planning envoyé par les services de presse. Et puis, il faut ruser, ne pas toujours respecter les commandements zélés des services de sécurité, afin, toujours, de rapporter l’image et le témoignage le plus intéressant et le plus fort possible, mais aussi le plus en phase avec l’actualité. Ainsi, à la frénésie imposée par le rythme de la campagne, s’ajoute, pour le journaliste, le stress permanent d’être le premier.

Première Campagne de Audrey Gordon. Copyright Jour2fête.

Scène et coulisses

Le journalisme politique, tel que présenté dans ce portrait au plus près du réel, utilisant les codes du cinéma direct, sans voix off ou contextualisation, est un sport de haut niveau. Usant, stressant, n’autorisant ni pardon ni repos, il donne aussi un sens à la vie, machine infernale dans laquelle la journaliste, comme le sportif, s’épanouit. Dans la vie normale d’Astrid Mezmorian, tout semble dérisoire. Le jour, elle mène bataille dans des stades immenses peuplés d’une foule mue par un enthousiasme contagieux, elle côtoie des personnalités de haut rang, d’anciens hommes d’État, de futurs possibles présidents. La nuit, elle rejoint son minuscule et banal appartement de jeune Parisienne, la vaisselle qui traîne, le désordre si inconséquent face à son activité de jour. Car le plaisir que procure l’adrénaline du journalisme de terrain est doublé par la conscience d’être utile, le sacerdoce de rapporter une information de qualité. « C’est le service public », annonce-t-elle pour se présenter avant des interviews en micro-trottoir. Et, en ces temps où les médias sont si décriés, en particulier quand ils s’intéressent à la vie politique, ce portrait est salutaire.

 

Voir autrement

Car le décorticage par le hors-champ de l’image médiatique rappelle à quel point cette même image est tout autant construite par les hommes politiques eux-mêmes. De l’investissement de Brigitte Macron dans la campagne au week-end au ski « en amoureux » du futur couple présidentiel sous le feu des projecteurs, des caméras et des appareils photo (l’image fera la une de Paris Match), Première Campagne montre le storytelling d’Emmanuel Macron (mais cela aurait tout aussi bien pu être celui d’un autre candidat) en train de s’écrire. Il montre, sans dénoncer. Car Audrey Gordon n’est ni François Ruffin ni Serge Halimi. Première Campagne n’est pas plus une analyse orientée qu’un essai de sociologie des médias. On pense davantage à 1974, une partie de campagne de Raymond Depardon. C’est une observation minutieuse, dont chacun fera l’usage qui lui convient. En décortiquant ainsi la construction d’une image médiatique, Audrey Gordon propose une nouvelle image, troublante de réel : l’image cinématographique, qui renforce notre observation du monde.