Olga

La croisée des chemins

Les débuts dans le long-métrage du jeune réalisateur Elie Grappe ont fait sensation sur la Croisette en juillet dernier. Il est temps de découvrir en salle l’histoire de cette jeune étoile des barres asymétriques, et de sa détermination chevillée au corps.

Une énergie puissante irrigue ce portrait adolescent. Olga a quinze ans. Olga est gymnaste. Olga quitte Kiev et sa mère, direction un centre d’entraînement suisse, pour préparer le championnat d’Europe en vue des Jeux Olympiques. La nation helvète est le pays d’origine de son père, qu’elle n’a jamais connu. Et c’est sur cette terre inconnue, à laquelle elle est pourtant liée, que s’ancre son présent. L’action se passe en 2013, alors que la révolte populaire monte en Ukraine. L’athlète va ainsi se définir, tout au long de cette heure et demie de fiction, par son placement sans cesse entre-deux. Entre deux pays, entre l’intime et le collectif, entre la passion et la raison, entre le corps et l’esprit, entre l’enfance et l’âge adulte. Une passionnante période charnière d’une vie encore jeune, mais déjà riche. C’est ce qui porte et triture à la fois cette héroïne des temps modernes.

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Elie Grappe et sa scénariste Raphaëlle Desplechin ont minutieusement construit le parcours de cette sportive déterminée, mais confrontée à des choix cornéliens, alors que sa génitrice journaliste et son peuple sont embarqués dans les événements d’Euromaïdan. À distance de ce qui a fait d’elle ce qu’elle est, elle endure dans sa chair la séparation. Mais cette masse organique, irrémédiablement tendue vers la performance, l’aide aussi à avancer sur le chemin de son existence. La véritable gymnaste Anastasia Budiashkina livre une interprétation habitée, pour ses premiers pas devant la caméra. Cadrés au plus près et suivis sans relâche, sa peau, ses muscles, son souffle, son regard donnent le tempo à sa création fictionnelle, avec une véracité documentaire hallucinante. Le cinéaste place son objectif en spectateur actant du sport et de l’effort sans cesse remis en jeu. Sa maîtrise dans l’immersion et le cadrage des enchaînements et figures épate.

Salué par le prix de la SACD à l’issue de sa sélection en compétition à la 60e Semaine de la Critique, Olga est un premier long-métrage intense et nerveux. Une belle pierre sur le parcours du jeune réalisateur, et la prolongation enrichie de ses films courts : Suspendu, sur les pas d’un danseur ado en plein dilemme suite à un accident corporel, ou Répétition et Hors scène, captations documentaires autour de la musique et des instrumentistes. Avec, chaque fois, un regard précis et acéré sur les solistes, dont l’exercice vise l’excellence, éphémère et précieuse. Tout le cinéma d’Elie Grappe est viscéralement à l’os et dénué de toute afféterie. Une maturité déjà impressionnante.

 

Olivier Pélisson