Nostalgia de Mario Martone

Polycritique

Après 40 ans d’absence, Felice retourne dans sa ville natale : Naples. Il redécouvre les lieux, les codes de la ville et un passé qui le ronge.
Nostalgia de Mario Martone, film italien en compétition au festival de Cannes 2022, divise notre bande.

Les avis de la Bande :

 

La force de ce film réside dans l’intelligence de sa mise en scène, qui sait à la fois matérialiser et suggérer. Nostalgia fait la part belle à l’inconscient de son personnage et aux fantômes qui le hantent. Les cadres riches et savamment composés de Mario Martone ménagent toujours des ouvertures situées à l’arrière-plan (rues, portes, fenêtres, escaliers), qui placent Felice dans une intrigante perspective et rendent palpable l’état d’âme nostalgique qui est le sien. Le montage, signé Jacopo Quadri, justement cadencé, fait éprouver sa pulsation cardiaque et sa ferme détermination à en découdre avec la part irrésolue de son passé. Quant à l’interprétation de son comédien, Pierfrancesco Favino, elle confère à ce bel ensemble une vraie densité par la force de ses regards et le grain de sa voix. Nostalgia navigue ainsi entre un temps présent investi et une dimension plus vaste, métaphysique, que suggère aussi l’alternance des formats (cinémascope pour l’aujourd’hui, carré pour l’autrefois). « La connaissance est dans la nostalgie. Qui ne s’est pas perdu ne se connaît pas », dit la citation de Pier Paolo Pasolini placée en exergue du film. Il y a quelque chose de passionnant et d’enivrant à se perdre dans les rues de Naples avec Felice, et, par extension, à habiter son paysage intérieur sous le regard ample et perspicace de Mario Martone.

 

Anne-Claire Cieutat

 

Nostalgia contient tous les clichés du grand film italien : Naples, la mafia, l’église catholique, et le deuil de la mama. Pourtant, Mario Martone nous emmène ailleurs, à travers le récit d’un héros mystérieux qui retrouve peu à peu les traces de son enfance, les habitudes enfouies, la ville qu’il croyait avoir oubliée. Le rôle principal est tenu par le toujours brillant Pierfranceso Favino (vu, notamment, dans Le Traître de Marco Bellocchio), qui porte le film en interprétant avec une grande finesse ce personnage aux émotions secrètes, intérieurement tourmenté et qui laisse peu transparaître. Dommage que la mise en scène parfois peu audacieuse ne soit pas toujours à la hauteur d’un scénario brillant et subtil. Mais ce retour à Ithaque sauce napolitaine touche du doigt un sentiment que trop de films confondent avec la mélancolie : le souvenir d’un passé lointain, déjà mort, et pourtant si vif, qu’on pourrait croire capable de revenir sous nos yeux : la nostalgie.

Pierre Charpilloz

 

Un avion, un homme dit quelques mots en arabe, puis le même homme parle italien dans une ville italienne, immédiatement reconnaissable : Naples. Il se promène de rue en rue. À la recherche de quelque chose ou de quelqu’un, il hume la ville comme un parfum familier, puis rend visite à sa mère. En quelques plans, sublimes, Mario Martone (Mort d’un mathématicien napolitain, 1992) installe son histoire, celle de Felice Lasco, de retour dans sa ville natale après quarante ans d’exil dans un pays lointain, où il s’est marié et converti à l’islam. Las, passé les vingt premières minutes, le film s’enlise dans les raisons de cet exil à coup de conversations explicatives avec d’anciennes connaissances et un prêtre très investi dans la réinsertion de la jeunesse perdue d’aujourd’hui. Pour narrer la jeunesse perdue d’hier, et le passé trouble de Felice, des flash-back en format carré rétrécissant soudain l’écran viennent illustrer platement ce que les premières scènes évoquaient comme par magie. Même ce grand acteur qu’est Pierfrancesco Favino (Une mère, 2014 ; Le Traître, 2019) en perd son latin et son immense talent. Pourquoi tant de lourdeur, alors que le réalisateur manie volontiers l’ellipse (la mort de la mère notamment est ici étrangement éludée) ? La nostalgie n’est plus ce qu’elle était…

Isabelle Danel

 

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