Nomadland

La balade de Fern

Chloé Zhao s’inspire d’un récit documentaire et filme le parcours d’une ouvrière nomade dans l’Amérique en crise du début des années 2010. Elle en tire une œuvre poétique et réaliste, qui détonne dans le cinéma américain contemporain.

En 2011, Empire, dans l’Indiana, perd son code postal et devient une ville morte après la fermeture de l’entreprise qui la faisait fonctionner. Comme nombre de ses habitants, Fern, veuve et sans emploi, devient une nomade, qui, à bord de son van, parcourt les États-Unis, vivant de très modestes emplois. Sous le vernis de sa douce et limpide mise en scène, on trouve beaucoup de qualités dans le troisième film de Chloé Zhao, récompensé par trois Oscars (meilleur film, meilleure réalisatrice et meilleure actrice). Premier aboutissement d’un parcours météorique, il confirme les espoirs qu’on pouvait porter dans le cinéma de la réalisatrice de The Rider et Les Chansons que mes frères m’ont apprises. Un cinéma qui pourrait se définir comme un mélange de réalisme comportementaliste, d’étude précise de la vie de communautés (les membres d’une réserve indienne, un cow-boy moderne convalescent) peu regardées par le cinéma et d’inspiration poétique, rappelant souvent l’œuvre panthéiste de Terrence Malick.

Frances McDormand dans Nomadland. Copyright SEARCHLIGHT PICTURES.

Ces éléments se retrouvent portés à un haut degré dans cette œuvre au fort regard documentaire (le film est tiré du livre éponyme de Jessica Bruder consacré à ces nomades des temps modernes), constamment transcendée par la mise en images de la réalisatrice, qui dessine sous nos yeux une americana mélancolique et désenchantée. Le parcours de Fern (Frances McDormand, tout en émotion rentrée, minérale comme les paysages qu’elle traverse), les jobs ingrats qui lui permettent de survivre, les rencontres qu’elle fait dans cette communauté de nomades (incarnés par des comédiens non professionnels, à l’exception du toujours étonnant David Strathairn, en hypothétique amoureux), sont pour la réalisatrice le moyen de tracer le portrait d’une Amérique des marges, aussi pauvre que généreuse, à la recherche de nouveaux repères.

Héritière de Malick, donc, mais aussi de John Ford (on pense autant à La Chevauchée fantastique qu’aux Raisins de la colère), Chloé Zhao n’en trace pas moins un chemin éminemment personnel, d’une sensibilité assez unique dans le cinéma américain contemporain. Et on attend avec autant d’inquiétude que d’impatience son prochain opus, Eternals, énorme machine de l’écurie Marvel à venir prochainement sur les écrans.