My Wonder Women

Lasso banal

Raconter le contexte créatif de la naissance de la plus célèbre super héroïne au monde était une gageure excitante. Surtout quand il s’avère fort en subversivité. Mais Angela Robinson relève timidement le défi, malgré son trio d’acteurs au poil. Snif.

Avide de sujet inédits, le septième art se délecte de la source inépuisable que lui procure la vie des gens célèbres ou anonymes, mais remarquables. Bref, les biopics abondent. À commencer par les personnalités en tous genres. Le cinéma anglophone a ainsi puisé dans la biographie du créateur de Peter Pan, l’Ecossais J.M. Barrie, pour Neverland de Marc Forster, et dans celle de la génitrice de Mary Poppins, l’Australienne Pamela L. Travers, pour Dans l’ombre de Mary de John Lee Hancock. Une manière de raconter en biais le contexte créatif qui a donné naissance à des personnages iconiques. Dans cette lignée, la réalisatrice américaine Angela Robinson s’est attelée à l’écriture et à la réalisation d’un long-métrage dédié au père de THE super héroïne, Wonder Woman. Voici donc venu le temps du « biographical picture » consacré à son auteur, William Moulton Marston, alias Charles Moulton, son pseudo artistique.

Mais la lignée « mainstream » des deux précédents doit forcément subir ici quelques entorses, vu les données en présence dans la vie et l’œuvre du docteur en psychologie, devenu inventeur du détecteur de mensonge et de la BD à succès. Des entorses ? Vraiment ? Et oui. Moulton et sa femme Elizabeth, également universitaire, ont en effet mis en pratique un art de vivre politiquement incorrect et hautement subversif, dans l’Amérique des années 40… comme dans le monde de 2018 ! Le polyamour ! Une revendication existentielle, amoureuse et philosophique qui ne cadre pas du tout avec l’image d’un personnage hyper populaire du puritanisme « WASP » alors triomphant. C’est là où le film a le mérite d’exister. Raconter cette biographie incroyable d’êtres avant-gardistes et libres, contre tous les diktats, et malgré les embûches sociétales. Les Moulton sont tombés amoureux d’une même femme, qui les a aimés aussi. Et tous trois vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Avec à la clé, la création féministe d’un personnage hyper populaire de super héroïne indépendante, et fan de « bondage », à coups de lassos, de beignes et de shorts moulants.

My Wonder Women de Angela Robinson. Copyright 2017 Sony Pictures.

Un sujet en or. Mais Angela Robinson, cinéaste militante et engagée, avec son implication notamment dans la série télé homosexuelle pionnière à succès The L World, livre un film très propret dans sa mise en scène et ses parti-pris descriptifs. Certes, la trame existentielle des personnages dans le temps du récit, les dialogues et les enjeux, sont subversifs. Mais leur traitement, leur mise en situation, restent frileux et tellement en deçà de ce qu’ils racontent et mettent en jeu. Beaucoup de mérite dans l’intention, mais le résultat est tiède. Dommage, vu que ce sont aussi les femmes qui s’emparent à la réalisation du mythe Wonder Woman, versant blockbuster adapté du « comic » (Patty Jenkins a signé la production maousse costaud éponyme sortie en juin dernier), et versant ici biopic de son auteur. Un beau geste dans le cinéma souvent dirigé par le masculin. Robinson a-t-telle vraiment fait le long-métrage qu’elle voulait ? S’auto-censure-t-elle ou veut-elle simplement livrer un film qui se veut dérangeant, mais reste dans les clous de la bienséance pouvant toucher un plus large public ?

Frustration aussi vu l’incarnation et le pouvoir de suggestion du trio d’interprètes venus d’outre-Atlantique et d’outre-Pacifique. L’Australienne qui monte, Bella Heathcote, offre sa candeur cinégénique à l’audacieuse Olive Byrne, et ses deux partenaires Britanniques sont des solistes délicieux. La Londonienne Rebecca Hall n’a pas convaincu Woody Allen et Steven Spielberg pour rien. Elle rivalise d’aplomb et de vulnérabilité dans la peau de l’émouvante Elizabeth Holloway Marston. Et le Gallois Luke Evans enrichit sa galerie de personnages d’une nouvelle facette. Apollon, Aramis, Zeus et Dracula se voient rejoints par une figure ayant existé, et que l’acteur personnifie avec une délectation savamment dosée. À défaut d’une affirmation plus audacieuse, pour sa mise en lumière inédite d’un amour à trois électrisant, contexte de la création d’une figure iconique, et pour ce trio de tête à l’écran, My Wonder Women mérite d’être vu.