Midnight Traveler

Le grand voyage

Road-trip à la première personne, Midnight Traveler est un formidable documentaire sur la route des migrants, de l’Afghanistan à l’Europe, à la recherche d’un asile politique. Cette œuvre profondément nécessaire pour comprendre l’actualité et, plus tard, faire Histoire est aussi un film familial émouvant et un captivant récit d’aventure.

Hassan Fazili est un réalisateur afghan. À Kaboul, on le connaît pour un film dans lequel il critiquait le régime des talibans. Pire : il a ouvert avec sa femme un café où l’on propose des « activités culturelles ». Depuis, Hassan Fazili est un homme à abattre. Mais les talibans supportent mal la critique, et tout ce qui pourrait s’apparenter à une culture libre et non contrôlée. Si Kaboul peut s’apparenter au Far West, le cinéaste n’a pas eu vent de ce qu’il encourait en lisant un panneau « Wanted » accroché à un mur. Il a pris conscience de cette terrible vendetta par un vieil ami, de ceux qui furent si proches et dont il n’eut plus de nouvelles après l’arrivée des talibans. Ce dernier aurait en effet rejoint les rangs des fondamentalistes, fatigué par la corruption du pouvoir précédent. Un jour, cet ami oublié lui laisse ce message laconique et fatal : « Ils veulent ta peau. Tu dois partir ». 

Midnight Traveler de Hassan Fazili
. Copyright Sophie Dulac Distribution

Sur la route

 

Ainsi commence le périple de 594 jours (et autant de nuits) dans lequel s’embarque la famille Fazili – car Hassan et sa femme Fatima ont deux jeunes enfants, Zahra et Nargis. Après avoir tenté en vain la voie légale, la famille prend le chemin de la migration clandestine, espérant obtenir en Europe l’asile politique. À l’aide de son téléphone portable, Hassan Fazili filme l’intégralité de ce road-trip contraint. Ce faisant, le cinéaste nous livre un document passionnant et précieux. De nombreux films ont été faits sur ce sujet terrible, mais peu nous permettaient de comprendre aussi bien la réalité tangible de ces migrants. Dans Midnight Traveler, on voit ce que faire 5600 kilomètres à pied et en voiture le long de la Méditerranée représente. Parfois, ils traversent à la hâte et en pleine nature une frontière de fils de barbelés. Ailleurs, la famille voyageuse reste en attente pendant de nombreux mois, parquée dans des espaces de transit en préfabriqués, ne sachant jamais si elle pourra partir le lendemain. Dans Midnight Traveler, on comprend ce qu’Europe veut dire, cette forteresse de paperasse parfois kafkaïenne, dont les fonctionnaires arborent parfois des gilets pare-balles et un pistolet à la ceinture. On comprend aussi pourquoi elle semble si désirable, cette Europe, malgré les armadas de skinheads bulgares, de nationalistes hongrois et autres racistes en meute, qui veulent la peau des immigrés, comme ils disent, et dont il faut éviter les coups de poing et de couteau. Mais parfois aussi, il y a des endroits où cela se passe bien, où les démarches sont plus simples, et l’Europe plus accueillante.

Midnight Traveler de Hassan Fazili
. Copyright Sophie Dulac Distribution

En famille

 

Car, durant les trois ans de ce voyage, qu’Hassan Fazili et sa scénariste Emelie Mahdavian racontent avec un sens aigu du récit et de la mise en scène – l’histoire des événements ayant précipité leur fuite est, par exemple, racontée par une séquence de flash-back au montage cut, courte et incisive -, il n’y aura pas eu que des malheurs et des épopées tragiques, mais aussi des moments de joie et surtout une vie quotidienne qui s’organise. Car elle continue malgré tout. Peut-être parce qu’il est en famille, Hassan Fazili réussit à faire un film qui, sans éviter la gravité de son sujet, ne tombe jamais dans le pathos ou le misérabilisme. Les enfants y sont pour beaucoup. À commencer par la petite Zahra, âgée d’une dizaine d’années, dotée d’une énergie redoutable et d’une bonne humeur contagieuse. Il est fascinant d’observer à quel point les enfants finissent toujours par s’adapter. Et d’ailleurs, dans cet espace de transit aux confins de l’Europe de l’Est, dans des ensembles blancs de métal et de gravier, ces préfabriqués qu’on ne croirait pas faits pour durer, on a installé une balançoire et des jeux pour enfants. Étrange survivance de l’enfance dans un univers qui s’apparente plus à celui de la maison d’arrêt que de la garderie. Car, bien sûr, la famille Fazili n’est pas seule : de nombreuses autres familles avec enfants sont du voyage. Si ce récit contient bien des moments de suspense, sa fin est heureusement connue : les Fazili arriveront à bon port ; l’asile, après leur avoir été plusieurs fois refusé, leur sera finalement accordé, au prix d’un voyage homérique, nocturne, et périlleux, qu’on ne souhaiterait à personne.