Février de Kamen Kalev

Toute une vie

En Bulgarie, un petit garçon garde les moutons ; il devient un jeune homme, puis un vieillard. L’arc d’une vie sans histoires pour un film époustouflant de beauté et d’humanité.

 « Mon grand-père était berger. Mon père était berger. Moi aussi, je serai berger. » C’est ainsi que Petar, homme de peu de mots, s’exprime lorsque, au cours de son service militaire, son chef lui propose d’intégrer la marine. Ce pourrait être un documentaire, mais c’est une fiction : l’histoire d’un destin, qui ne peut ni ne doit bifurquer. La route est tracée. Elle est ici narrée en trois chapitres : l’enfance, l’âge d’homme, la vieillesse. Une montagne, une île, une montagne. Solitude des confins de la Bulgarie, union avec le ciel, le soleil et la terre, mouvements des brebis dans les pâturages, repas frugaux, silence. 

Après Eastern Plays et Tête baissée, qui parlaient déjà de son pays (racisme dans le premier, proxénétisme dans le second), mais sur le mode du film d’action, Kamen Kalev livre avec ce quatrième long-métrage une œuvre contemplative, d’une beauté majestueuse et éblouissante. Chaque plan est un tableau ; des arbres morts résistent au vent, un enfant découvre dans une forêt une bergerie en ruine et la sculpture d’un « garçon », une mariée sous un voile rouge avance vers son époux, des oiseaux rendent le ciel opaque au-dessus d’une étendue verdoyante et insulaire, un vieil homme tente de faire des ricochets sur une rivière gelée… Mais ces images vivent, remuent, s’emplissent de sons et d’impulsions accompagnant le balancier délicat du temps qui passe.

Toute une vie s’écoule sous nos yeux. Lente et violente. Entre immobilisme et ellipses fulgurantes, entre réalité triviale et rêveries opaques. On entre dans l’intimité de cet enfant, de cet homme, de ce vieillard, qui ne font qu’un. Ce personnage, inspiré à l’auteur-réalisateur par son grand-père, on comprend qui il est, résigné et pourtant libre dans sa tête. Et c’est une humanité entière, simple et bouleversante, qui nous est donnée à voir et nous subjugue. Par la magie du cinéma.