Parentèle désenchantée

C’est un polar centré sur la disparition de jeunes filles. Et une histoire de familles et de transmission. Une histoire américaine d’aujourd’hui menée tambour battant par Kate Winslet, rude et terrienne, simplement extraordinaire.

À Easttown, Pennsylvanie, tout le monde connaît tout le monde. Mare, lieutenant de police surinvestie, gère le quotidien. Celui des habitants, qui vont de la vieille Carol, râleuse patentée persuadée que son voisin est un voyeur, à cette citoyenne noire qui ne supporte plus que son frère drogué vienne la voler jusque chez elle ; en passant par une de ses anciennes amies du lycée se battant contre un cancer et tout ce qui indique que sa fille Katie, portée disparue depuis un an, ne reviendra pas. Le quotidien de Mare n’est pas plus simple, avec le deuil indicible de son grand fils, avec sa mère qui l’insupporte autant qu’elle l’aide, son petit-fils de quatre ans orphelin de père et bourré de tics, son ex-mari venu s’installer dans la maison d’en face…

Dans cette série créée par Brad Ingelsby, on retrouve immédiatement la qualité d’écriture des Brasiers de la colère, ce talent à raconter par le menu (quitte à déborder) une petite ville de Pennsylvanie. Les secrets enfouis, la réalité blême et triviale du travail qui manque et des jours qui passent, les turpitudes (in)humaines prêtes à surgir.

Mare of Easttown. Copyright HBO.

Ce qui compte ici, au-delà de l’intrigue policière très bien ficelée, ce sont les personnages, leurs failles et leurs blessures, leur capacité d’amour aussi. Ce qui les lie et les éloigne, ce qui les taraude et leur fait peur. Remarquablement écrits et interprétés, ils existent tous, justes et touchants, intensément présents. Tout le monde à Easttown semble vieux avant l’âge, les grands-mères ont à peine 50 ans, palliant la défection des enfants qu’elles ont elles-mêmes eus très jeunes. Une génération perdue. Ou sacrifiée. Drogue, alcoolisme, maladie mentale, disparition, déni, prostitution, inceste… c’est peu dire que la barque du Mal est chargée dans cette série pleine de douleurs sourdes et de violences aiguës.

Réalisés par Craig Zobel, les sept épisodes de la série (dont cinq seulement ont été montrés à la presse) gagnent en force au fur et à mesure, après une exposition classique. Dans des tons automnaux, sur un rythme de plus en plus tenu, la mise en scène distille des détails, des petits riens, qui nourrissent l’écriture ciselée de ces femmes et de ces hommes ordinaires et si singuliers. 

Car, finalement, ce portrait d’une petite ville pas tranquille, d’un coin d’Amérique oublié des dieux, raconte à la fois l’usure et le courage. La lumière qui revient toujours. Ce qui, malgré tout, vous tient debout sur une montagne de gravats. Mare est une solitaire à l’humour rare et pince-sans-rire, elle carbure à la bière, n’écoute rien ni personne, la colère qui la tenaille est palpable. Trapue, sanglée d’une parka, de grosses chaussures aux pieds, elle avance pour ne pas s’écrouler, elle est la Loi, rien ne l’arrête ; en service ou pas, une ombre se faufilant le long d’une palissade déclenche immédiatement son intervention. Cela dit, quand ça l’arrange, pour ne pas perdre son petit-fils, ou parce qu’elle veut à tout prix capturer un suspect, elle peut aussi allégrement contourner le règlement. Kate Winslet est d’une présence sidérante, force en marche laissant passer incidemment un nuage de tristesse sur son beau visage, que l’absence de maquillage laisse vivre et vibrer.