La dernière fois que nous avons rencontré Cristi Puiu, il évoquait ses grandes difficultés pour financer un ambitieux projet historique, situé dans la Roumanie de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le film n’ayant pu aboutir, le cinéaste s’est tourné vers un huis clos, qui évoque par bien des côtés son précédent film, Sieranevada. Le film est en effet bâti de façon semblable à sa chronique familiale, où un appartement de Bucarest, lieu quasi unique de l’action, servait de théâtre à des discussions nombreuses et enflammées.
Malmkrog, lui, se situe dans un manoir, en Russie, à la fin du XIXe siècle : un grand propriétaire terrien y reçoit des amis de la bonne société, parmi lesquels un politicien et un général de l’armée russe. Autour de plusieurs dîners, les intervenants polémiquent fermement sur divers sujets, religieux, philosophiques, guerriers, sociétaux. C’est la première différence entre les deux films : là où les conversations de Sieranevada, photographie du Bucarest d’aujourd’hui, étaient souvent circonscrites à des sujets strictement contemporains, les discussions qui animent Malmkrog (inspirées par l’œuvre de Vladimir Soloviev, Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion) sont intemporelles et leur grande modernité leur confère un caractère prophétique.
Les deux œuvres diffèrent également dans leur forme : quand les nombreux protagonistes de Sieranevada étaient en mouvement perpétuel dans un appartement qui leur laissait une marge de manœuvre restreinte, les invités des dîners de Malmkrog, qu’ils soient assis ou debout, se tiennent fixes dans des décors amples et solennels, ajoutant à la raideur assumée par Cristi Puiu. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser au cinéma des Straub-Huillet devant la volonté du cinéaste de dérouler dans la durée un texte très complexe, exigeant de ses acteurs une diction aussi précise que rigoureuse. En résulte une œuvre qui nécessitera plusieurs visions pour en épuiser tous les secrets, mais dont la grande beauté, elle, est immédiatement accessible.