Lina Soualem est une réalisatrice et comédienne franco-algéro-palestinienne, née et basée à Paris. Après des études d’histoire et de sciences politiques à l’Université de la Sorbonne, elle débute dans le journalisme, puis se dirige vers le cinéma. En tant que comédienne, Lina a joué dans trois longs-métrages des réalisatrices Hafsia Herzi, Hiam Abbass et Rayhana. Son premier long-métrage documentaire, Leur Algérie, a été sélectionné en première mondiale à Visions du Réel 2020.
Après soixante-deux ans de mariage, les grands-parents de Lina Soualem, Aïcha et Mabrouk, ont décidé de se séparer. Ils ont déménagé de leur appartement commun pour vivre dans deux immeubles qui se font face, toujours dans la petite ville de Thiers en Auvergne, où ils se sont installés ensemble à leur arrivée d’Algérie, il y a plus de soixante ans. Pour Lina, cette séparation est l’occasion de questionner leur long voyage d’exil et leur silence.
Ce que la cinéaste accomplit dans ce récit familial d’allure modeste relève du monumental. En effet, pour son premier film, la cinéaste prend à bras-le-corps l’archive mémorielle pour la relier à l’histoire collective. Une histoire française qui, hélas, est souvent attaquée, voire niée selon certaines tendances néfastes.
Il y a, tout d’abord, le caractère absolument déchirant de ce silence de la transmission que capte si bien la caméra de Lina. Têtue, elle est présente tout au long du film, à la fois fille et petite-fille qui questionne son père, le comédien Zinedine Soualem et ses deux grands-parents. Mais aussi comme femme et cinéaste, qui retrace les chemins des douleurs jamais racontées.
Au centre de ce film, il y a cette immigration constitutive de l’histoire française, qui a dû recourir à une importante main-d’œuvre pour se reconstruire après la Seconde Guerre mondiale. L’invisibilité des récits et des mémoires de ces femmes et de ces hommes perdure encore aujourd’hui. Et pourtant, si peu de films racontent simplement leur histoire. Comme si la honte et l’effacement devaient sévir encore, et avec eux les préjugés racistes et les amalgames dangereux. Comme si la double absence devait toujours être la marque de cette génération, et ce pour longtemps.
Ne dit-on pas, encore aujourd’hui, pour de trop nombreux Françaises et Français, qu’il sont avant tout « d’origine étrangère » ? Comme si le contrôle, le fichage, s’inscrivait jusque dans la langue, véhiculant le doute affreux sur l’identité. Avec l’assignation à un profil, toujours le même, avec pour les personnes dites arabes des variantes au fil des années – de « bougnoule » à « bicot », d’« immigré » à « racaille », de « beur » à « rebeu », de « voleur » à « islamiste », de « musulman » à « terroriste »…
C’est la matière de ce film qui, en moins d’une heure quinze, plonge dans les replis de l’histoire intime et collective pour en extraire tout ce qui a été tu, avec la honte en sus. Une honte portée par ce couple âgé – ne pas se faire remarquer, ne pas protester -, une honte que leur fils Zinedine a tenté de briser et que leur petite-fille tente d’évacuer. Pour leur restituer toute leur place et leur dignité.
Leur Algérie est un film de suture, il relie les fils de la transmission, celle d’une famille maghrébine exilée en Auvergne à la fin des années 1950. C’est aussi un portrait d’une beauté déchirante, qui touche au cœur. Où ce qui se joue relève tout autant de leur histoire que de la nôtre. Dont tous nous sommes les héritiers mais aussi les passeurs de quelque chose qui ne nous appartient pas totalement : la mémoire et sa trace. Ce travail de mémoire recèle ce qui peut nous permettre de vivre ensemble, dans ce partage des récits, dans ces actes nécessaires de filiation et de transmission, dans une continuité de destin partagé. Et voir une jeune femme restituer à un vieil homme un peu de cette mémoire effacée relève de la grâce. Une grâce puissamment politique et poétique.
Nadia Meflah