Les Trois Jours du Condor

De l’art de lire entre les lignes

Sydney Pollack a le don de nous émouvoir sans avoir l’air d’y toucher. Son cultissime On achève bien les chevaux en 1969 reste un des films les plus avant-gardistes de l’histoire du cinéma. Et Tootsie, en 1982, dénonçait avec férocité, sous couvert d’humour, un sexisme des plus systémiques bien avant que ça balance du hashtag dans les chaumières.

En 1975, en pleine ère post-Watergate, il est de bon ton, dans les dîners mondains ou entre deux cocktails, de s’essayer à une critique de la CIA. Les Trois Jours du Condor pourrait tomber dans le panneau, mais le réalisateur s’est toujours défendu d’un tel agenda. Dans cette adaptation du roman Les Six Jours du Condor de James Grady, paru l’année précédente, Robert Redford incarne Turner, un idéaliste passionné. Ça tombe mal, Turner travaille pour la CIA. L’une des forces (même si on peut le lui reprocher) du scénario est de maintenir un voile obscur sur ce que fait précisément Turner. Tout au plus sait-on qu’il est expert en analyse de romans, qu’il a l’art de décoder. Turner sait lire entre les lignes. Un littéraire, un esprit pur, donc. Parti chercher des sandwichs pour ses collègues, il les retrouve tous décimés à son retour. Si le spectateur, lui, vient d’être témoin de la froide boucherie commanditée par un mystérieux tueur à gages, Turner est instantanément plongé dans une spirale d’incompréhension et d’effroi. Son âme de civil n’est a priori pas équipée pour gérer pareille situation. Il ne lui reste plus qu’à : 1) comprendre qu’il est le prochain sur la liste, 2) sauver sa peau et 3) trouver les coupables s’il veut réussir à 2). Paranoïa, complotisme, trahison, syndrome de Stockholm : tous les ingrédients du thriller sont là. Avec le téléphone (fixe !) comme seul mode de communication – si délicieusement rétro -, Turner met le doigt dans des rouages qui le dépassent, pour le meilleur et pour le pire.

Si le film a été gentiment reçu, mais sans plus, à sa sortie, force est de constater qu’il a très, très bien vieilli. Les placements de caméra sont brillants, les entrées et sorties de cadre offrent des points de tension remarquables. Robert Redford, Faye Dunaway, Max von Sidow nous offrent un triplé gagnant. Owen Roizman à la photo prend soin d’habiller New York de ses plus beaux atours automnaux. Au scénario, Lorenzo Semple Jr vient donner un coup de main à David Rayfiel, le collaborateur régulier de Sydney Pollack, en insufflant subtilement l’insolence et le décalage qu’il tire de son amour pour les comics et les super-héros (la série TV Batman, c’est lui). Et le compositeur Dave Grusin, autre collaborateur régulier du réalisateur, qu’il retrouvera sur Tootsie et The Firm, déploie ses talents de jazzman pour nourrir la dimension surréaliste et incertaine de la narration.

La reprise des Trois Jours du Condor est plus qu’un miroir de notre époque en proie à une actualité anxiogène. C’est un cadeau.