Le Sixième Enfant

Passées les bornes

Ce premier long-métrage malaisant sur le désir d’enfant est aussi un polar de l’âme, porté par un casting renversant.

Du bien au mal. Du monde des nantis à celui des pauvres gens. Du respect de la loi à la loi du désir (d’enfant). Passer de l’autre côté. Sans cesse. Traverser les frontières si ténues. Jusqu’au point de non-retour. Ce premier long-métrage signé Léopold Legrand ne fait que ça. Franck, ferrailleur, commet le forfait de trop et y perd sa camionnette, son outil de travail ; il pourrait y perdre sa liberté. Julien, son avocat, et Anna son épouse, également membre du barreau, le raccompagnent après le procès et découvrent à la périphérie de Paris le camp gitan sédentaire où sa femme Meriem et sa tripotée d’enfants les accueillent chaleureusement. Alors Franck revient voir Julien pour lui proposer l’impensable : Meriem est enceinte de leur sixième enfant, ils ne pourront pas l’élever, elle refuse d’avorter, et comme Julien et Anna sont des gens bien et ne peuvent pas en avoir, « on pourrait s’arranger »…

L’histoire devrait s’arrêter là : Julien se drape dans sa vertu et brandit la loi. Mais Anna, soudain, voit la lumière au bout de son tunnel de fausses couches et d’adoptions refusées, et lorsque son mari renâcle à la suivre dans cette folie, elle décide, elle, d’y aller. Seule s’il le faut.

Le Sixième Enfant de Léopold Legrand. Copyright Pyramide Distribution.

La force du scénario, adapté librement du roman de Alain Jaspard, Pleurer des rivières, par Léopold Legrand, est de toujours transgresser les limites sans que jamais on refuse d’y croire. Parce qu’il n’y a aucune malice et à peine de calcul dans cette proposition, que d’aucuns jugeraient « indécente ». Il y a toute la détresse et l’humanité du monde. La mise en scène, au plus près des personnages, nous entraîne dans leur tête : on y est, on y croit. Il faut dire que ce qui, sur le papier, pouvait sembler à la limite du jouable est ici interprété par un éblouissant quatuor d’acteurs.

Le Sixième Enfant de Léopold Legrand. Copyright Pyramide Distribution.

Sara Giraudeau et Judith Chemla sont Anna et Meriem, deux « mères nées », mais l’une sans enfant et l’autre avec. Et le lien qu’elles tissent, de compréhension et d’amour, de sororité en fait, passe par leurs grands yeux, leurs manières rugueuses et tous les pores de leurs peaux. Face à elles, Benjamin Lavernhe incarne Julien, rigide et droit en apparence, dont on voit, on sent qu’il se noie à l’intérieur ; et Damien Bonnard, est Franck, hésitant et fébrile, comme empêtré dans son corps, sa vie, l’injustice criante du monde et l’audace effrayante de sa proposition. À eux quatre, il emplissent de vérité des personnages sans doute « un peu trop », et on y croit profondément.

« On va brûler en enfer », dit Franck. « Non, c’est quand on fait le mal qu’on va en enfer », répond Meriem. Tout est là. Dans cette lisière. Dans cet avenir en forme de gouffre qui s’ouvre devant les deux couples pour des raisons différentes. Le Sixième Enfant est un thriller social, un polar de l’âme et un drame intime qui n’oublie pas, par instants, une fantaisie inattendue. Et c’est un premier film. Mazette.

 

A écouter aussi, l'interview minutée de Léopold Legrand par Jenny Ulrich

Le système minuté

Il s’agit de laisser jouer le hasard. J’ai arbitrairement décidé de noter ce qui se passe aux 7’, 42’, 70’ et 91’ minutes des films et de soumettre ces moments aux réalisateurs et acteurs venus en faire la promotion. L’idée est d’être vraiment très précise dans ces descriptions afin que mon interlocuteur puisse réagir au maximum d’éléments, selon ce qui lui importe le plus (le son, les cadrages, les couleurs, etc.). Le choix des mots a son importance également et il arrive que je me fasse reprendre, c’est très bien comme ça. Chacun s’approprie l’exercice comme il l’entend, mais au final on arrive presque toujours à parler du film de manière concrète, en contournant légèrement le train-train promotionnel. On pourrait dire que le résultat est à mi-chemin entre la bande-annonce et le commentaire audio, tel qu’on en trouve sur les suppléments DVD. Par ailleurs, ces entretiens sont « neutres » : que j’aie aimé ou non les films n’entre pas en ligne de compte, il s’agit avant tout de parler cinéma, sans a priori.