Le jeune Karl Marx

Le défi de s’attaquer à la figure tutélaire de Karl Max est relevé : après Lumumba, Raoul Peck s’est à nouveau piqué au jeu de la bio, tenu par l’énergie tangible d’un bon trio d’acteurs et d’un scénario racé.

Et si on rajoutait une petite rasade aux débats qui animent notre hexagone de gaulois râleurs ? L’organisation et les lois du travail, ça vous intéresse ? Voilà que dans la série continuelle des « plus ou moins biopics à la mode » du moment, l’international Raoul Peck sort Le jeune Karl Marx sur les écrans : 1844, la révolution industrielle bat son plein et les ouvriers sont méchamment secoués par la course effrénée du capital. Tout commence là, avec Karl Marx, un jeune intello mal coiffé de 26 balais (interprété par August Diehl, enfin un peu débraillé). Journaliste et philosophe clandestin en France car viré de son Allemagne natale, il tente de survivre avec sa femme Jenny (Vicky Krieps, mention spéciale car dès qu’elle ouvre la bouche : c’est vrai) en faisant la morale à ceux qui enchaînent les prolétaires au travail. Marx rencontre et se lie à Friedrich Engels (Stefan Konarske, fin et nuancé) un jeune révolté lui aussi. Ensemble, ivres d’alcool et d’idées, ils veulent changer l’univers et faisant table rase des préceptes établis et notamment la nique à Joseph Proudhon (Olivier Gourmet, impérial), et rédigent « Le manifeste du Parti Communiste ».

Si l’on ressent dès les premières images une véritable soif de raconter, cette qualité de bon aloi ne vient pas de nulle part : l’engagement en tant que citoyen politique de Raoul Peck est connu depuis longtemps dans ses films, ceci en dehors des responsabilités qu’il aura assumées (ministre de la Culture d’Haïti) et du soutien à la production du militant Robert Guédiguian pour ce projet-là. Devant l’ampleur de la tâche, le regard de Raoul Peck affirme ainsi un savant mélange de valeurs propres au documentaire (la reconstitution historique est parfaite), tient bon la rampe de la rigueur des citations et des faits (on apprend et c’est toujours intéressant) face à la belle tension électrique de son scénario (due en partie à Pascal Bonitzer, coscénariste) et des acteurs principaux, frais, en chair, vif et brillant. La réussite est d’autant plus plaisante qu’en dépoussiérant sérieusement l’icône Marx, le réalisateur dresse ainsi le portrait d’une jeunesse largement idéaliste qui fait beaucoup défaut à notre époque : un âge séduisant, passionné, insolent, rieur, qui même s’il réussit ou se plante, quoiqu’il arrive, avance. En somme, un film inspiré et inspirant.