Le Diable n’existe pas

Vivre libre

Couronné par l’Ours d’or à Berlin en 2020, le septième long-métrage de l’engagé Mohammad Rasoulof distille sa puissance, le long d’un récit en quatre volets denses et précis.

Figure phare du cinéma iranien actuel, Mohammad Rasoulof incarne aussi la difficulté à exercer librement son métier. Il reste en effet malmené par le gouvernement et la justice de son pays, depuis son arrestation en 2009 avec son collègue Jafar Panahi (Le Ballon blanc, Le Cercle, Taxi Téhéran, Trois Visages). S’il a pu accompagner à l’étranger ses films précédents, jusqu’à Un homme intègre, salué et primé à Cannes en 2017, ce dernier lui a valu de se faire confisquer son passeport à son retour. C’est donc sans lui que Le Diable n’existe pas a démarré son parcours international à la 70e Berlinale, où il a décroché l’Ours suprême. Le voici enfin sur les écrans hexagonaux, quasiment deux ans plus tard.

Écrite, produite et réalisée par Rasoulof, cette épopée humaine a également bénéficié d’une coproduction avec l’Allemagne et la République tchèque. L’auteur a pu mener à bien son projet clandestinement, sous la forme officielle de quatre courts-métrages, moins ciblés par la censure étatique, pour ensuite les assembler, avec quatre assistants réalisateurs différents, qui géraient repérages et équipes, ainsi qu’un seul chef-opérateur et un seul chef décorateur, pour assurer une continuité esthétique. Par son tournage secret, la résonance du sujet n’en est que plus forte. Le cinéaste creuse encore le sillon de la description d’individus dans une société sous régime dictatorial. Avec, au cœur de chaque histoire, la question cruciale de la responsabilité et de l’assomption de ses actes.

Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof. Copyright Pouyan Behagh / Pyramide Distribution.

Les deux heures et demie de l’aventure agissent comme un entêtement progressif. Elles épatent aussi, en passant de la cité grouillante à la nature salvatrice, et de l’oppression à la résistance, le long de plans dont la durée nourrit l’âme du film. Tous ces destins tissés habilement en miroir se doublent d’une complémentarité fructueuse entre hommes et femmes. Rasoulof célèbre la place essentielle de ces dernières en tant que socle des relations intimes, familiales et sociétales. Le doute, parfois question de vie ou de mort, reste aussi un motif scénaristique fort, dans ce monde pris dans l’étau de la soumission. L’œuvre affirme que la rébellion est toujours possible, tout comme une part de délivrance, quel que soit le prix à payer. Un credo souligné par la double présence du titre iconique Bella ciao, pour son enthousiasme comme pour sa tragédie. Et l’amour, puissant, nourrit les regards des personnages et des interprètes, si denses, même quand la séparation l’emporte, pour mieux servir les idéaux et l’intégrité.