Le Daim

De nature animale

Quentin Dupieux dirige Jean Dujardin et Adèle Haenel dans un récit aussi plaisant que perturbant : une folie – au sens strict – réussie de trois personnalités décapantes du cinéma français.

Le Daim, nouveau film de Quentin Dupieux, vous saisit au collet de manière aussi directe que son pitch est succinct : Georges, 44 ans, et son blouson, 100 % daim, ont un projet. Georges, c’est Jean Dujardin, qui poursuit avec délectation les rôles de marginaux dérisoires dès qu’il le peut, à l’image du récent I Feel Good de Benoît Delépine et Gustave Kervern. À ce titre, la rencontre de l’acteur avec Quentin Dupieux, réalisateur fameux pour ses films fous et poilants (Steack, Rubber, Au poste !), semblait prometteuse pour un rendez-vous joyeux de deux larrons en foire. 

Jean Dujardin et son "look de malade" dans Le Daim de Quentin Dupieux. Copyright Atelier de production.

Pour autant, si Le Daim propose bien l’humour et le décalage auxquels le spectateur était en droit de s’attendre, il installe un certain malaise au travers du portrait de Georges : cet homme seul, plaqué par sa femme, est en proie à une crise de misanthropie. Son esprit vacille autant que les franges ringardes de son blouson en daim. Poussant loin le bouchon de certaines situations absurdes, qui font partie pleinement du plaisir à découvrir le film, Quentin Dupieux et Jean Dujardin tiennent subtilement en équilibre – entre déconnade et révélation glaciale – sur les failles de Georges pour faire affleurer un réalisme cru : les clowneries laissant place progressivement à une psychologie plus dérangeante, les rires deviennent jaunes. Isolé dans un motel provincial sans âge et nimbé de silence, Georges connaît une poussée de fièvre qui le mène droit à un dédoublement surréaliste de personnalité : souple et agile dans la facture de ses plans léchés, Dupieux ne lâche pas Dujardin d’une semelle, traquant les moindres étincelles obsessionnelles et hallucinatoires du personnage en ébullition narcissique, qui cherche seul à réinventer le monde. Les signes apparents de sa folie en marche sont d’autant plus inquiétants que sa rencontre avec la barmaid Denise (Adèle Haenel) n’apaise rien. Doté d’une petite caméra qui lui est tombée du ciel et pour épater la jeune femme, notre antihéros s’intronise réalisateur. Peine perdue, Denise est émoustillée à l’idée de bosser avec Georges, car elle s’avère être une professionnelle du montage, elle qui, à titre d’exercice, a « remonté dans l’ordre Pulp Fiction de Tarantino ». À travers les dialogues truculents, Dupieux s’amuse de la spontanéité – ici particulièrement déviante – d’Adèle Haenel pour former un duo proprement électrisant. Interprétant ses scènes sans jamais rien lâcher, l’actrice se hisse littéralement à la hauteur comique de l’acteur oscarisé pour une partition aussi fine que trash. Pas dédaigneux des taches de sang qui parachèvent cette peinture tordue, le spectateur trouvera ainsi son compte avec Le Daim, film de nature animale beaucoup plus noir et pénétrant qu’il n’y paraît.