Le Côté de Guermantes

Le théâtre retrouvé

Pour célébrer la plus particulière des rentrées théâtrales depuis bien des années, Christophe Honoré propose à la Comédie-Française une adaptation du troisième volet d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, Le Côté de Guermantes. Une ode aux acteurs, et un vrai plaisir de spectacle.

En adaptant sur la scène du Théâtre Marigny le plus mondain des épisodes de la Recherche, Christophe Honoré offre à la troupe du Français le plus joyeux des retours sur scène, après des mois de reports et de spectacles annulés. On pointe souvent la difficulté d’adapter Proust, dont l’œuvre est en tous points intrinsèquement littéraire. Il y a eu d’éminents contre-exemples : Le Temps retrouvé de Raul Ruiz (1999) au cinéma ou Les Français, adaptation libre de toute la Recherche du temps perdu par Krzysztof Warlikowski au théâtre. En proposant une lecture aussi spectaculaire que fidèle de l’œuvre originale, Christophe Honoré rejoint cette courte liste des adaptations réussies de Marcel Proust. Aller voir Le Côté de Germantes, c’est faire un tour, accompagné par Marcel dans les salons fin de siècle, où en apparence rien n’est sérieux, rien n’est grave, ni l’Affaire Dreyfus (qui est, on l’avait oublié, très présente dans toutes ces discussions) ni les derniers jours du flamboyant Charles Swann à la fin de l’épisode. Ce que comprend Christophe Honoré, et qui donne à son adaptation sa dimension spectaculaire, c’est que l’un des génies de la Recherche réside dans ses personnages. En cela, l’adapter à la Comédie- Française, théâtre de troupe par excellence, est une idée brillante. Le casting est parfait : tout en étant une lecture personnelle des personnages, chacun correspond au rôle comme s’il avait été fait pour eux : Laurent Lafitte est évidemment un duc de Guermantes aussi détestable que drôle et sympathique ; Elsa Lepoivre, une duchesse d’abord intrigante, puis ennuyeuse et finalement assez touchante et triste, comme elle l’est aux yeux de Marcel. Marcel étant lui-même un personnage omniprésent du spectacle, mais souvent silencieux, observateur pas invisible, mais peu impliqué, que campe admirablement Stéphane Varupenne. Même le marquis Robert de Saint-Loup, dont la version de Sébastien Pouderoux a moins de superbe que dans le roman de Proust, correspond finalement parfaitement à cet univers de héros magnifiques et décevants. Mentionnons également Dominique Blanc, comme toujours formidable, grimée en vieille marquise de Villeparisis, qui n’a plus rien à apprendre de la vie et de ses salons ; et, bien sûr, Charles Swann, dont l’apparition fugace sous les traits de Loïc Corbery, maigre, faible, mais toujours élégant et raffiné, est l’un des moments les plus émouvants de la pièce.

Le Côté de Guermantes - Comédie française / Photo : Jean-Louis Fernandez

Si la mise en scène d’Honoré est un spectacle pour acteurs, il ne faudrait pas non plus croire que les autres aspects de la création dramatique soient lésés, bien au contraire. Les costumes – signés Pascaline Chavanne, bien connue pour son travail au cinéma, soulignent l’élégance et contextualisent l’époque sans pour autant la rendre omniprésente. Un exercice auquel se prête aussi la scénographie et son décor ultraréaliste et assez intemporel d’un grand appartement bourgeois, avec, en fond de scène, une grande porte s’ouvrant sur l’extérieur du théâtre Marigny, offrant ainsi au lointain de l’espace dramatique la grande Fontaine du Cirque, dans le square Marigny bien boisé, et derrière encore les lumières de l’avenue des Champs-Élysées, qui correspondent parfaitement à l’ambiance de l’espace. Des idées de mise en scène comme celle-ci, le spectacle n’en manque pas : lumières stroboscopiques pour suggérer une apparition fugace, travail sur la vidéo pour représenter avec émotion la disparition de la grand-mère, ou encore playlist pop et chanson française chantée en live et à la guitare électrique par certains des comédiens. Bien sûr, toutes ces idées ne sont pas nouvelles, et aucun dispositif ne surprendra le spectateur habitué des scènes du théâtre contemporain. Mais elles sont toujours utilisées à bon escient, servant la narration, accompagnant l’émotion de ce récit mélancolique et apportant du rythme à un spectacle qui sait être spectaculaire et divertissant, tout en étant beau, profond et émouvant.

 

Le Côté de Guermantes - Comédie française / Photo : Jean-Louis Fernandez