La Flor

La folle épopée

La Flor, le film-événement des festivals de Locarno et de Biarritz 2018, réalisé par l’Argentin Mariano Llinás, arrive sur les écrans, distribué en quatre parties. Une proposition de cinéma singulière, ambitieuse et hautement ludique.

C’est en soi un projet dément. Tourné sur une période de dix ans, La Flor, film-fleuve de près de quatorze heures, constitue une expérience de cinéma à part. Mariano Llinás, son réalisateur (auteur d’un premier long-métrage inédit en France, Historias extraordinarias, où s’entrecroisent déjà des récits durant quatre heures) est le fils d’un poète surréaliste, sensibilisé à l’écriture automatique, dont l’influence se fait ici sentir. La Flor s’articule autour de quatre personnages féminins, interprétés par les comédiennes-dramaturges de la troupe théâtrale Piel de Lava, Elisa Carricajo, Valeria Correa, Polar Gamboa et Laura Paredes. Son scénario tourne le dos à toute tentative de résumé. Disons que la narration prend la forme d’un voyage à travers les genres où se télescopent le film fantastique, le mélo, le drame musical, le film d’espionnage, l’hommage (à Jean Renoir), le récit d’aventure. Soit un cinéma total, ample, enthousiaste, qui clame son amour de la fiction et qui embarque son spectateur dans un grand huit émotionnel. C’est que l’on passe par tous les états face à La Flor : de la séduction la plus totale à l’ennui le plus ferme, avec, entre, des moments de grâce délectables qui vous ramènent au présent du film quand votre esprit divague, et vous fait éprouver une joie profonde d’assister à ce spectacle singulier. Quelle épopée ! Il y a quelque chose de l’ordre de la profession de foi ici, dans le cinéma, la poésie, dans le pouvoir créatif de la troupe, celle qui porte ce film de bout en bout et dont la ferveur et l’implication sont bel et bien visibles à l’écran. Ces actrices dégagent une grande puissance expressive ; elles sont épatantes.

Il faut donc plonger dans La Flor, se laisser gagner par son élan, ne pas chercher à en saisir tous les ressorts dramatiques, mais plutôt à épouser son courant poétique, avec ses pleins et ses déliés, et le vivre comme une expérience surréaliste avec ce que cela induit d’abandon et d’errances mentales suscitées.

Plus captivant encore : La Flor, par ses explorations visuelles et sonores, donne à ressentir des textures, des matières, comme si ce cinéma-là était tactile, physique. Cent vingt-quatre ans après la naissance du 7e art, à une époque où nous vivons dans une surenchère de propositions sur diverses plate-formes de visionnement, cet OVNI semble nous relier à un plaisir primitif, presque enfantin : celui de voir s’animer dans une salle obscure des « fragments terrestres, offerts à la lumière », comme disait Paul Valéry, que le cinéaste aime citer. Pareil retour aux sources a des vertus régénératrices, bienvenues par les temps qui courent.