La Danse du serpent

Magie noire

Un océan de délicatesse. Un territoire rare d’Amérique centrale. Une cinéaste se fait sa place au soleil du septième art, avec ce récit poétique et envoûtant, qui parcourt le monde et atteint enfin les salles françaises.

Sofia Quiros Ubeda arrive en douceur dans le champ du long-métrage. En douceur, mais avec conviction. Le regard de la jeune réalisatrice argentino-costaricaine est d’une précision dingue. Sur l’enfance en train de finir, sur la vie en train de s’évanouir, sur la nature en train de surgir. Déjà installé avec son court-métrage Selva, prémices de cette aventure également présentée à la Semaine de la Critique cannoise, son univers se densifie. Le soin porté à l’environnement est infini, aidé de la composition minutieuse des plans. Les décors rudimentaires sont remplis d’une présence forte, et leur simplicité sert d’écrin aux personnages et à la circulation des énergies. Les côtes caribéennes du Costa Rica font la part belle à l’océan, au sable, à la terre, à la végétation. Une communion dense et mystérieuse entre faune et flore, dans laquelle l’être humain évolue harmonieusement.

Dès les premières images, l’héroïne de treize ans est confrontée à un serpent. Une dépouille, mais l’espèce reptilienne traverse le film de bout en bout. Symbole de la mue animale, il cristallise l’ode à la transformation qui nourrit l’œuvre. Mutation des corps, mais aussi voyage d’un monde à l’autre, comme l’expérimente l’épatante Elena, électron libre et papillon de nuit, et le magnétique grand-père, dont la silhouette émouvante est déjà dans un entre-deux flottant. C’est aussi l’avancée de la gamine vers l’adolescence. La jeune fille qu’elle est en train de devenir fait écho à la propre évolution de son interprète, incandescente Smachleen Gutiérrez, que l’auteure suit depuis plusieurs années. Ses grands yeux happent le monde. La Danse du serpent raconte l’appétit de vivre et l’apprentissage de l’épanouissement, au moment même où le chemin est marqué par la perte et la disparition.

Dans un pays encore peu raconté par le cinéma, Sofia Quiros Ubeda défriche avec une créativité dynamisante. Elle s’est accompagnée d’une productrice, d’une directrice de la photographie, d’une directrice de casting, d’une chef déco et d’une jeune actrice, et ensemble elles ont mené à bien ce projet de cinq années, en équilibre avec des hommes. Le professionnalisme du travail s’est confronté à des comédiens non professionnels, mais dont la cinégénie est évidente. Cet accomplissement artistique réussit sa mission d’inscription des caractères sur la route de leur destin. Il ravit l’œil témoin devant l’écran. L’esprit aussi, qui, loin de la sollicitation permanente des stimuli technologiques, se reconnecte à la pensée magique, où l’incarnation dialogue avec l’ombre, et se délecte de cette histoire si délicate de peau et d’âme.