Cessez-le-feu

La guerre en soi

Nul ne revient jamais de la guerre. Nul n’est plus jamais en paix avec lui-même. Sur le front intime, le traumatisme et après, la bataille livrée avec la vie n’est jamais finie.

On regarde les hommes tomber à la guerre. On regarde les hommes se relever après. Comment sont-ils, après l’horreur, après la barbarie, après la mort, que deviennent-ils, comment vivent-ils, ces soldats d’hier, debout aujourd’hui ? Emmanuel Courcol, qui a été scénariste pour Philippe Lioret, ranime cette interrogation vieille comme les querelles humaines et choisit pour l’envisager, deux anciens combattants de la Première Guerre mondiale – conflit d’il y a un siècle peut-être, mais ressemblant comme jamais aux combats de tous les temps, à ceux de notre époque en leurs différents théâtres du monde, immuablement de ténèbres et de sang.

Après-guerre, il met en scène deux frères, aussi dissemblables que les deux formidables comédiens que sont Romain Duris, physique sec, barbe sévère, œil sombre, et Grégory Gadebois, rondeur sensible, douceur aimable, regard clair. Chacun à sa manière vit l’après-guerre en exil. L’exil est extérieur pour le premier, parti vivre loin, dans une Afrique tribale et sauvage, où il mène une autre vie aventureuse dont on ne sait exactement de quoi elle est faite sinon d’oubli volontaire. L’exil est intérieur pour le second, invalide de guerre reclus avec sa vieille mère dans une triste maison de famille, muet sur sa douleur indicible, sans voix, réduit au silence, replié sur son monde intime, à peine ouvert aux autres par la langue des signes, et ne songeant qu’à en finir. On dirait un fort, et un faible, mais Emmanuel Courcol nuance ce portrait à deux faces, cherche à épaissir la complexité de son duo, de bien montrer que ni l’un ni l’autre ne sont revenus indemnes de la guerre. Il y a un traumatisme commun à tous les vétérans, un mal qui les ronge tous, bête acharnée dans leur tête. Toutes les blessures de guerre ne se voient pas à l’œil nu : la caméra se donne pour tâche de révéler leur encre noire invisible.

Cessez-le-feu ? Ce film des lendemains de guerre arpente le champ de l’intime, le champ de bataille psychologique sous le crâne quand le feu roulant des armes a cessé. C’est l’histoire d’un trauma aux multiples expressions, d’un individu l’autre. Emmanuel Courcol a-t-il eu peur du noir pour son premier film ? Un romantisme limpide vient apporter sa consolation à un scénario qui finit par être bien sentimental et souple avec la douleur et la souffrance, avec son happy-end curieusement fleur bleue, avec l’amour pour armistice dans le combat jamais terminé des soldats avec leur passé.