Blue Bayou de Justin Chon

Abandonné encore

Acteur et réalisateur, Justin Chon fait vibrer toutes les cordes du cinéma dans son troisième film derrière la caméra. Chronique et constat, cette histoire absurde fondée sur des faits réels dit des choses essentielles.

Il s’appelle Antonio LeBlanc, et l’ironie de la situation n’échappe pas à son interlocuteur en voix off tandis que, plein cadre, lors d’un entretien d’embauche, le jeune homme explique ses origines américano-coréennes et son adoption par un couple vivant près de Bâton-Rouge. Antonio cherche un deuxième boulot pour subvenir aux besoins de sa famille : Kathy, son épouse, la petite fille de celle-ci, Jessie, et l’enfant à venir. Leur enfant. Mais Antonio a un casier judiciaire pour une erreur de jeunesse, il est aussi charmant que fantasque, aussi attachant que peu fiable…

Copyright 2021 Focus Features, LLC.

Filmé avec grâce, confiant dans la puissance des images singulières (une petite fille en costume de super-héros, une moto qui sillonne les paysages de Louisiane, des ponts comme des épées de Damoclès…), le film n’évite pas quelques lourdeurs dans son écriture. Il y a de tout dans Blue Bayou : un mélo de la plus belle eau, une chronique d’un quotidien pas simple dans le bayou, un constat du racisme et des aberrations du système d’immigration permettant aux familles américaines d’adopter des enfants étrangers, qui risquent d’être renvoyés dans leur pays à l’âge adulte s’ils commettent la moindre faute. Et il y a même de très méchants policiers au bord de la caricature.

Mais la beauté des plans, la grâce des comédiens, Justin Chon et Alicia Vikander, l’impressionnante présence de la jeune Sydney Kowalske dans le rôle de Jessie, emportent l’adhésion. Le film, sincère, original, séduit et envoûte. Et quand, à la scène finale, on se dit que Justin Chon est en train de faire déborder la barque du mélo, les photographies d’adultes adoptés lorsqu’ils étaient enfants et renvoyés dans leur pays d’origine viennent attester d’une réalité qui sous-tend largement la fiction. Et c’est poignant.

Isabelle Danel