Alice et le Maire

À bout de souffle

À quelques mois des élections municipales, Nicolas Pariser débarque avec Alice et le Maire, film intelligent et iconoclaste sur un milieu politique français à bout de souffle. Avec la talentueuse Anaïs Demoustier et Fabrice Luchini, sobre et délicat.

Paul Théraneau, maire de Lyon, a un grave problème. Démotivé après trente ans de vie politique, il n’a plus d’idées. Vidé. L’embauche à son service d’une jeune agrégée de philosophie (Anaïs Demoustier) est censée régénérer sa capacité « à penser »…  

Après Le Grand Jeu (2015), Nicolas Pariser poursuit son évocation du pouvoir. Il raconte avoir été essentiellement motivé à l’idée de montrer « des gens travailler », ce qui est rare dans le cinéma hexagonal lorsqu’il est exempt du thème de souffrance (hormis la perle de Luc Moullet, La Comédie du travail).

Pour embarquer le spectateur et infiltrer le décorum politique, le réalisateur se sert du regard innocent d’Alice découvrant un pays des merveilles, les us et coutumes de la mairie de Lyon. Cette jungle de verbiages touffus et de photocopies volantes, équivaut au milieu décrit par Blain et Lanzac dans Quai d’Orsay, bande dessinée fameuse adaptée à l’écran par Bertrand Tavernier. Dans Alice et le Maire, il s’agit là encore d’une ruche en ébullition dominée par un chevalier sans peur, le maire Théraneau (Fabrice Luchini), qui s’apparente au héros de Quai d’Orsay, un Taillard de Vorms sous Prozac et en panne de stabilo. 

Le rythme et l’accumulation des dialogues du film rappellent immédiatement la fougue des œuvres de Jean-Paul Rappeneau et l’érudition de celles d’Eric Rohmer (Nicolas Pariser a été l’élève de ce dernier à La Sorbonne). Le flux de paroles politiques ou techniques, les speechs et autres transactions génèrent une énergie paradoxale face à ce maire décalé, quasi à l’arrêt, qui doute et se force à l’ouvrage. Un théâtre de gesticulations dans un mélange de cynisme et d’habitude. Devenu un ectoplasme, Paul Théraneau n’est cependant pas embarrassé du cadre légal lorsqu’il s’octroie les services de l’ingénue Alice, au seul motif de sa névrose personnelle. Ce contrat signe en réalité un aveu sidérant d’impuissance du politique à agir, un emblème de la crise démocratique qui caractérise la France. 

Face au maire, Alice est le stéréotype de la génération Y et Z, férue de nouvelles technologies mais désorientée, en dépit d’études brillantes. Son ambition est autant en berne que son désarroi est grand. La rencontre dans Alice et le Maire fait réfléchir sur la conjonction des étoiles actuelle, où la grande dépression nous guette tapie dans l’ombre, prête à se jeter sur nous.

En dépit des profils de ses personnages clairement dessinés, Nicolas Pariser a l’intelligence d’éviter soigneusement toute forme de caricature. La sobriété et l’ambiguïté du jeu des deux acteurs permettent de prendre beaucoup de plaisir, de naviguer dans l’entrelacs de ce que l’on pourrait prendre, à tort, pour de grosses ficelles, tandis que la narration crée subtilement une communion d’entente entre Paul et Alice. Ces derniers perdent leurs masques au fil du récit au profit de la révélation de visages plus intimes, fruits d’une relation intellectuelle nourrie. Fabrice Luchini n’était pas apparu aussi sobre, fin et délicat depuis longtemps au cinéma, au diapason de l’interprétation d’Anaïs Demoustier, toujours impeccable et profonde. Si Nicolas Pariser raconte qu’il a beaucoup évoqué la mémoire de Sacha Guitry lors du tournage avec ses comédiens, il en reste quelque chose : au delà de sa fluidité, de sa drôlerie et de son engagement politique, Alice et le Maire possède le même éclat dont le maître de l’ironie était capable, un parfum subtil et entêtant.