La Quinzaine des Réalisateurs a attiré le chaland cannois avec le triptyque inclassable de Miguel Gomes. Trois volets au service d’un élan, raconter le Portugal actuel, tout en donnant à voir l’imaginaire fertile de l’artiste. Après le premier tome sorti fin juin, les deux suivants squattent l’été.
Il était une fois un cinéaste, l’un des plus courus de la cinéphilie du moment, qui attisait la curiosité. Spécialiste des projets ovnis, il cherchait quoi faire pour son nouveau projet, suite à l’enthousiasme qui avait accueilli son dernier film, Tabou. Son pays, à l’extrême ouest du continent, était en proie à la crise mondiale, doublée d’une crise européenne, triplée d’une gestion politique nationale écrasante. Il décida d’en faire un long-métrage. L’aventure et le tournage avançant, il sut que d’un seul film, il en tirerait trois. Car les idées se bousculaient dans sa tête. Les envies débarquaient à foison. Les rencontres avec ses compatriotes l’inspiraient. Résultat : Les Mille et Une Nuits, trois films, six heures. Sur la lancée du premier tome sorti en juin (L’Inquiet), le second, Le Désolé, continue d’explorer la réalité contemporaine et concrète du Portugal. Les rapports de force dans la cité, entre les classes, les origines, les personnes, sont au cœur du débat, notamment dans une séquence impressionnante de tribunal populaire. Où une juge (géniale Luisa Cruz) en vient aux larmes face à la foule d’un amphithéâtre en plein air. On y croise aussi un tueur en fuite, et les habitants d’un immeuble banlieusard et fantomatique, où a disparu un chien. Le burlesque se mêle au réaliste, l’allégorique à l’inquiétant. Le mélange des genres intrigue, bouscule, détonne. Gomes filme son pays comme un immense terrain de jeu, où la loi et les hors-la-loi coexistent pour leur survie.
Dans L’Enchanté, Schéhérazade (magnétique Crista Alfaiate), narratrice de la trilogie, mène physiquement l’aventure. Elle fait de la grande roue, où elle papote avec le roi, et croise un bellâtre blond, au look de surfeur mythologique, connu pour ses performances reproductrices (excellent Carloto Cotta). La poésie luxuriante et délirante reprend le dessus dans cette troisième partie, où Marseille sert de décor vivant aux légendes. Avec anachronisme parfois dans les arrière-plans, le cinéaste enchante et amuse. Et surprend lorsqu’il s’attache dans un long segment aux pinsons en cage et à leurs maîtres, qui se mesurent lors d’entraînements décapants et de concours de chants d’oiseaux. Gomes croit dur comme fer dans le cinéma. À sa puissance esthétique, poétique, philosophique. Il sait aussi combien la construction fictionnelle reste le meilleur miroir du réel. Avec amour pour son pays, il témoigne, accompagne et rend justice à son peuple, à ses petits métiers, aux gens « d’en bas ». Bricoleur en quête de défis, il réussit, avec ces deux derniers volets clôturant son triptyque, un puzzle barré et pertinent, sans aucun souci de vraisemblance. Un trip auquel on adhère, dont on s’éloigne, auquel on revient. C’est de l’art qui bouge, qui zigzague, qui ose, qui interloque, qui embarque. C’est une proposition unique.