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Poésie sidérante

Portrait d’Hélène dite Babouillec, grande enfant de trente ans qui, sans avoir appris ni à lire ni à écrire, crée des poèmes d’une beauté sidérante.

Elle marche dans une forêt, la taille ceinte d’une grosse bouée vert et noir. À l’homme qui l’accompagne, elle répond par des petits cris et des rires. Cet homme, Pierre, l’entraîne ensuite sur une scène, où il lui lit des poèmes issus d’un petit recueil. Et il la remercie pour tant de force, de mystère et de densité. L’auteur des poèmes c’est elle, Hélène, dite Babouillec, 30 ans, corps massif, un peu gauche, cheveux frisés, beau sourire d’ange cassé et yeux perdus dans l’ailleurs.

Après le formidable La Cour de Babel, qui questionnait déjà le langage et l’expression, Julie Bertuccelli suit les pas d’Hélène, « télépathe et iconoclaste », comme elle se définit elle-même. Cette jeune femme autiste qui a trouvé il y a dix ans, avec l’aide de sa mère Véronique, un moyen pour exprimer ce que son corps, sa bouche, sa voix sont incapables de dire. Car dans son cerveau – qu’elle appelle « boîte à penser » et traite aussi de « cornichon » – des mots se forment, qu’elle peut agencer sur une feuille blanche à l’aide de lettres découpées et plastifiées. Ces mots reflètent une pensée ésotérique et sibylline parfois, mais aussi incroyablement imagée et drôle, souvent.

Omniprésente pendant deux ans, la réalisatrice suit le couple mère-fille, l’extraordinaire patience de Véronique pour permettre à Hélène de s’exprimer et d’exister aux autres. Car pour elle-même, explique Véronique, « Hélène sait qui elle est ». Hélène dit qu’elle est « mal calibrée », que ses neurones sont survoltés ; elle se connaît et nous jette sans fard sa vérité, nous émeut avec les mots de  Babouillec (c’est le nom de « plume » qu’elle s’est choisi). Pour pénétrer un peu plus son mystère, dans l’espace du film s’invite Pierre Meunier, metteur en scène qui monte Forbidden di sporgersi, un spectacle de théâtre avec des mots et des lumières, des dispositifs et des acteurs qui personnifient les méandres et circonvolutions de l’écriture d’Hélène.

Celle-ci regarde, assiste, exprime son contentement, et malgré des moments plus difficiles, des manifestations d’énervement qui la rendent incontrôlable, Hélène vit et communique avec les autres (des journalistes, un mathématicien viennent lui rendre visite). Elle nous donne à voir son combat et son sourire permanents. Et nous invite, mine de rien, à nous débarrasser de nos idées toutes faites et nous ouvrir aux autres.